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et de la comédie proprement dite. Les différences qui séparaient ces deux genres ont été presque effacées sous le gouvernement de juillet. De notre temps, la liberté des théâtres a fait taire le couplet, ce vieux reste de l’inégalité ancienne. Cependant nous avons vu reparaître sous une autre forme la division d’une comédie lettrée et d’une autre plus populaire. Ni l’enseigne du théâtre ni les refrains de l’orchestre n’en font la différence : elles ne sont pas d’ailleurs si opposées qu’elles ne se fassent des emprunts réciproques. Les hardies allures de l’une n’ont pas empêché la « maison de Molière » de la réclamer, l’autre n’a pas craint de risquer dans les régions bruyantes des boulevards sa distinction native. Les caractères particuliers de chacune d’elles, on les verra dans les pages qu’on va lire : disons seulement que l’une s’est proposé la peinture des mœurs pour objet principal ou mieux pour unique objet, que le soin d’offrir un plaisir à l’esprit et quelquefois au cœur une leçon utile a été trop souvent l’unique ambition de l’autre. Il leur est arrivé de se mêler, grâce à la souplesse de quelques plumes heureuses ; mais rarement elles se sont fondues en un ensemble harmonieux. Toutes deux ont déjà fourni une carrière complète. Un écrivain à qui l’on doit les plus remarquables modèles de la première, la comédie de mœurs, vient de réunir ses œuvres en y joignant des préfaces où il a parlé de trop de choses, où il traite de tout, même de ses idées sur son art. Le représentant le plus distingué de la haute comédie, après s’être essayé non sans succès dans la description des mœurs, revient cette année même au cadre et à la forme auxquels il avait dû jusqu’ici sa réputation. Par là il nous donne le droit de penser que le cercle qu’il a tracé à son talent peut nous être connu. Le moment semble donc favorable pour résumer les vicissitudes de ces deux comédies entre lesquelles s’est partagée la faveur publique. Après avoir indiqué les causes qui ont produit cette situation du théâtre et les antécédens qui l’ont amenée, nous montrerons comment elle s’est développée et ce qu’elle permet d’espérer de l’avenir.


I

Un personnage dans une comédie de 1830, la Mère et la fille, fait valoir en ces termes des coupons de loge qu’il offre à un jeune fils de famille : « Votre sœur va être enchantée ?… Je le crois, une première représentation au Théâtre-Français, et une comédie encore ! Par le temps qui court, c’est rare, n’est-il pas vrai, jeune et aimable soutien de la nouvelle école ? » On n’a pas assez remarqué dans l’histoire littéraire de notre siècle l’incompatibilité absolue,