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institutions du pays ; mais il n’était pas moins essentiel que l’influence des radicaux fût diminuée dans le congrès, et que la majorité républicaine, affaiblie, se sentît un peu moins à l’aise pour mettre à exécution tous ses caprices. La minorité qui depuis six ans faisait semblant de lui tenir tête n’avait guère servi qu’à l’irriter par une contradiction stérile, et à lui fournir incessamment des prétextes de violences légales. C’est dans son intérêt même que la majorité avait besoin de rencontrer parfois en face d’elle une opposition assez forte pour la modérer. C’était d’ailleurs à cette seule condition que le bon accord pouvait s’établir entre le nouveau président et le congrus.

L’harmonie, il faut le dire, même après l’élection du général Grant, est encore loin d’être parfaite entre les deux branches du gouvernement. Cette candidature, nous le savons, n’a été acceptée qu’avec chagrin par un grand nombre de ceux qui l’ont soutenue ; l’opinion publique a imposé ce choix aux républicains plutôt qu’elle ne l’a subi de leur part. L’élection d’un général Grant contre un Seymour et un Blair a une signification plutôt républicaine que radicale et plutôt unioniste encore que républicaine. Le mauvais choix des candidats démocrates, leur renommée de copperheadisme, les fautes et les violences des hommes du sud doivent entrer pour une bonne part dans le succès de la campagne. Beaucoup de démocrates unionistes ou de républicains conservateurs fort dégoûtés des radicaux, ont cependant fait cause commune avec eux. Ils disent non sans raison que ce n’est pas le parti républicain qui a fait nommer le général Grant, que c’est le choix de Grant au contraire qui a fait réussir les républicains. Le nouveau président ne représente pour eux que le sentiment de l’honneur national et la réaction du bon sens populaire contre le fanatisme des doctrines radicales.

Que représente au contraire le congrès ? Composé d’hommes élus pendant la guerre, à une époque où le patriotisme se mesurait à la violence du langage, il appartient presque tout entier aux idées extrêmes contre lesquelles on se révolte à présent. Il a pour chefs les docteurs les plus convaincus de l’école radicale, ceux pour qui le culte du nègre est devenu une idée fixe et une espèce de religion. Son leader était hier l’inflexible et orgueilleux Thaddeus Stevens ; c’est aujourd’hui le général Butler, la créature des radicaux, l’ennemi personnel du général Grant. Le pays, qui les désapprouve et qui voudrait les contenir, leur est enchaîné par la reconnaissance, par le souvenir des services rendus à la cause nationale, par le lien puissant d’une vieille habitude et d’une longue association. Il les a envoyés trois fois de suite à la chambre, et, bien qu’il commence à s’éloigner d’eux, cet éloignement n’est pas assez marqué pour que la leçon soit comprise. On a ainsi une assemblée nommée par le peuple, et qui pourtant ne représente plus fidèlement sa