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flatteuses et leur bien dire que le parti démocrate se croyait sûr de la victoire sous la conduite de pareils chefs ; mais cette confiance n’était qu’apparente, et quand M. Seymour prit le stump quelques jours avant l’élection pour essayer ce que pourrait sa parole sur l’opinion populaire, il savait lui-même à quoi s’en tenir sur cette dernière ressource des candidats désespérés.


VII

Le 3 novembre, l’Amérique entière présentait le spectacle d’un recueillement inaccoutumé. Partout la place publique était déserte ; les orateurs, encore si bruyans la veille, étaient redevenus muets tout à coup. Seulement de longues files d’électeurs stationnaient paisiblement autour des polls, attendant en silence que leur tour vînt de déposer leurs votes. En quelques heures, plusieurs millions de suffrages furent recueillis d’un bout du pays à l’autre, et dans la nuit même le télégraphe portait de Boston à la Nouvelle-Orléans et de San-Francisco à New-York la nouvelle de l’élection du général Grant. Tous les états s’étaient prononcés en sa faveur, sauf le New-York, le Kentucky, le Maryland, le New-Jersey, le Delaware, l’Alabama, la Géorgie et la Louisiane. Il avait au moins 250,000 voix de majorité sur le vote populaire et plus des deux tiers des électeurs nommés. En revanche, la composition du congrès était légèrement altérée à l’avantage de la minorité démocrate : la majorité parlementaire, qui, dans la précédente chambre, comptait 174 députés, était réduite au chiffre plus modeste, mais considérable encore, de 132 voix. L’opposition, qui n’avait que 53 membres, allait en avoir 84. L’écart était moins exagéré entre les forces des deux partis, et la politique du congrès allait probablement s’en ressentir.

Ces résultats étaient doublement heureux. Les hommes prudens qui voulaient le bien public sans préoccupation de parti n’avaient pas moins à se féliciter de l’élection qui rendait quelque force à la minorité parlementaire que de celle qui élevait au pouvoir le chef du parti républicain. Il était essentiel pour le pays que le parti des défenseurs de l’Union gouvernât encore plusieurs années la république, et qu’un retour prématuré des démocrates ne vînt pas compromettre ou défaire son ouvrage. Quoique les démocrates fussent bien corrigés depuis quatre ans, et quoiqu’on dût regarder leurs bonnes intentions comme sincères, leur succès dans les élections de cette année aurait provoqué des espérances qu’ils auraient été forcés de satisfaire, et ranimé des sentimens auxquels ils n’auraient pas pu résister. Il valait mieux, à tous les points de vue, que les républicains restassent au pouvoir assez longtemps pour terminer leur œuvre et pour marquer à leur empreinte les mœurs et les