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de Colfax, de Seymour et de Blair étaient évaluées comme celles des chevaux de course, et les parieurs des deux côtés mettaient leur honneur à surenchérir. Le Sunday Mercury, journal de Philadelphie, proposait, au nom d’un démocrate, le pari suivant : « 120,000 dollars que Seymour l’emportera dans douze états au moins, et 20,000 dollars qu’il sera nommé président ; 5,000 dollars que pas un radical n’osera tenir le pari. » A quoi le propriétaire du Wilke’s Spirit, de New-York, répondait par un pari de 5,000 dollars sur trente états désignés, et de 5,000 dollars contre 2,500 que Grant serait élu, plus 25,000 dollars que pas un démocrate n’oserait tenir le pari. — Ces gageures colossales sont, aux États-Unis, une des formes les plus usitées de la réclame électorale. Quoique tout le monde en connaisse le but, ces fanfaronnades ne manquent jamais leur effet sur la foule.

Cependant le succès des républicains ne paraissait plus tout à fait assuré. Les démocrates s’agitaient beaucoup dans les états du nord, et l’activité de leur propagande pouvait faire illusion sur leur nombre. Soit ostentation calculée d’espérance, soit confiance sincère dans leurs forces, ils parlaient déjà de l’élection comme gagnée. Pouvait-on bien en douter encore ? Le club démocratique de New-York avait déployé sur sa façade le plus grand drapeau qui se fût jamais vu dans le monde ; cette bannière, large de 30 pieds et longue de 50, couvrait la rue tout entière, et montrait aux passans frappés d’admiration les images gigantesques de Seymour et de Blair. Le parti démocratique avait les meilleures bandes de musique, les meilleurs chanteurs, les plus belles processions, ses illuminations et ses feux d’artifice éclipsaient de bien loin ceux des républicains. Il était enfin, prétendait-il, le vrai parti national, le seul qui méritât véritablement le glorieux nom de républicain. Un journal de l’autre camp s’étant vanté imprudemment des sympathies témoignées par les nations européennes pour la candidature du général Grant, un journal démocrate lui fit cette réplique foudroyante : « Si l’Europe soutient Grant, c’est une raison de plus pour que l’Amérique soutienne Seymour. » Les conventions locales montraient d’ailleurs plus d’esprit politique que n’en avait eu la grande convention générale du parti. Dans l’état de New-York, où les démocrates étaient à peu près certains de réussir, ils recommandèrent ouvertement le remboursement de la dette en papier-monnaie. Dans le Massachusetts au contraire, où ils avaient pris pour candidat au poste de gouverneur un modéré, M. Adams, l’ancien ambassadeur à la cour de Londres, ils passèrent prudemment sous silence la question brûlante du remboursement. Dans le Maine, dont les populations rudes et rustiques ressemblent beaucoup à celles de l’ouest, et où le parti démocratique avait plus d’influence que dans aucun autre