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comme de raison, à en exagérer le nombre. Les démocrates au contraire imaginaient un grand complot radical qui avait pour but de brûler les trois villes de Nashville, Murfreesborough, Colombia, et d’en massacrer les habitans. Un journal de Cincinnati accusait le général confédéré Forrest d’avoir dit que le klan se proposait d’assassiner tous les radicaux blancs du Tennessee. Forrest à son tour protestait contre cette calomnie et représentait le klan comme une association purement défensive. Ses compatriotes, déclarait-il, ne demandaient plus qu’à labourer leurs champs, et quant à lui, il souhaitait la paix par-dessus tout ; « mais, ajoutait-il, si le gouverneur Brownlow exécute son projet de mettre tous les confédérés hors la loi et de les faire fusiller par sa milice, nous serons bien forcés de nous défendre. » Ainsi les deux partis se renvoyaient mutuellement le reproche des violences commises. A en croire les journaux républicains, les hommes du nord et les noirs étaient exposés sans cesse au massacre ; à en croire les démocrates, c’étaient les carpet-baggers et les scallawags qui menaçaient tous les jours leur vie.

Quels que fussent les vrais coupables, les états du sud étaient plongés dans l’anarchie. Un grand nombre de crimes privés se commettaient à la faveur du désordre et sous prétexte de vengeance publique. La propriété n’y était pas plus sûre que la vie : il n’était question que de passans détroussés sur les chemins, de vols commis dans les maisons à main armée, de femmes blanches violées par les nègres, de nègres pendus ou torturés par les blancs. Les nègres loyaux de l’Alabama se rendaient en armes à leurs assemblées religieuses et faisaient l’exercice après le sermon, disant franchement qu’ils se préparaient pour l’élection prochaine. Tout le monde sentait la nécessité de réunir de nouveau les milices d’état désorganisées par le congrès il y avait deux ans. Les gouverneurs de l’Alabama, du Tennessee, de la Louisiane, invoquaient l’appui des autorités militaires, et suppliaient le président de leur prêter main-forte, M. Johnson fit, comme de raison, la sourde oreille, et se contenta d’envoyer à tous les commandans fédéraux la copie des actes du congrès et des articles de la constitution sur l’intervention du pouvoir militaire dans le gouvernement des états. En Louisiane, les meurtres devenaient si fréquens et si audacieux que le gouverneur dut lui-même pourvoir à sa défense. Les hommes de couleur qui siégeaient dans la législature prenaient une attitude hautaine ; au sénat, un mulâtre du nom de Pinchback déclarait aux démocrates « qu’ils seraient bientôt au bout de leur rouleau, et que le premier crime qu’ils commettraient encore serait le signal des représailles, un signal qui allumerait dix mille torches dans la ville et la ferait réduire en cendres. » Il ne fallait pas attacher trop d’importance à des violences de langage devenues banales à force d’être communes ;