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emprunts qui payaient intérêt en papier, racheter ensuite le papier lui-même, dont la quantité en circulation ne dépassait plus guère 400 millions de dollars, et en dernier lieu remplacer la dette entière par un nouvel emprunt remboursable en or après vingt ou trente ans au moins et portant un intérêt en or de 5 ou de 6 pour 100. Tels étaient les traits principaux du projet que M. Mac-Culloch exposait à la fin de l’année dernière dans son rapport au congrès.

Ces combinaisons savantes ne répondaient pas aux passions populaires, et elles avaient peu de chances de succès auprès de la foule. Ceux qui réclamaient avant toute chose la réduction des taxes fédérales ne devaient pas s’accommoder facilement d’un projet qui leur proposait pour unique remède l’amélioration du crédit public, et leur demandait tout d’abord la continuation de leurs sacrifices. Il leur fallait un remède plus radical et d’une action moins lente, un moyen quelconque d’alléger immédiatement les charges nationales et de supprimer une partie des impôts. Or ce moyen se présentait à l’esprit de tout le monde. Quoique d’une utilité douteuse et surtout d’une injustice évidente, il était d’une simplicité bien faite pour séduire les esprits bornés : c’était en un mot la répudiation de la dette publique. La dette, aux yeux de la foule, c’était l’ennemi du pauvre, la cause de toutes les misères, le grand obstacle à la prospérité du pays. La dette une fois supprimée, tous les impôts seraient abolis. La dette était l’odieux privilège des spéculateurs et des capitalistes, qui affamaient le peuple pour toucher des rentes usuraires, et qui seuls étaient exemptés de la taxe payée par les simples citoyens. Tandis que le peuple se contentait des greenbacks de la trésorerie et des chiffons de papier des banques nationales, c’était de l’or qu’il fallait donner à ces hommes avides. Ils avaient profité de l’embarras des finances pour mettre le trésor au pillage et pour se ménager des profits scandaleux. La dette enfin était un monopole tyrannique, un tribut levé sur le peuple par une sorte d’aristocratie nouvelle ; on en parlait comme jadis on avait parlé de la Banque des États-Unis sous l’administration du président Jackson, et, comme autrefois, ces grands mots d’aristocratie et de monopole n’étaient jamais prononcés en vain.

Ces absurdités avaient sans doute contre elles tous les hommes honnêtes et de bon sens : ils comprenaient que l’immunité d’impôts dont jouissait la dette fédérale n’était qu’une garantie de la loyauté du trésor envers ses propres créanciers, que le paiement des intérêts en or et la promesse du recouvrement en or étaient le seul moyen d’inspirer la confiance et de maintenir le crédit de l’état, que d’ailleurs ces deux conditions faisaient partie d’un contrat formel dont on n’avait pas le droit d’altérer les termes ; mais le peuple avait des courtisans intéressés qui le prêchaient tous les jours sur