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vous avez amené. Une fois arrivés à Brandebourg, vous viendrez me rappeler votre affaire. — Puis, les ordres donnés, il passa outre.

Henrich se rapprocha tout aussitôt, fort curieux de connaître le résultat de cette démarche. Fieka lui répéta mot pour mot les paroles du colonel. — Vous voyez, lui dit-elle ensuite, que tout s’arrange à souhait, et que je n’ai plus rien à redouter de personne. Il serait tout simple de vous en retourner au moulin, où ma mère aura bien besoin de votre aide.

Le jeune homme ne paraissait pas goûter le mérite de cette combinaison, et caressait d’un air plus qu’indécis l’encolure de la belle jument près de laquelle il était debout. — Je vois, reprit Fieka, que vous ne vous souciez guère de laisser à l’aventure vos chevaux et votre chariot... En ceci, je vous approuve ; mais l’inspecteur Bräsig se chargera volontiers de vous ramener le tout.

— Fieka, répondit Henrich, je pensais non pas à mes botes, ni à ma carriole, mais bien à ce que m’a dit l’amtshauptmann.

— Et que vous a-t-il dit, je vous prie ?

— Que si je laissais toucher à un seul cheveu de votre tête, je ne devais pas reparaître devant lui. Or je lui ai fait une promesse solennelle, et devant témoins...

Ici Henrich se rapprocha de sa cousine, prit une de ses mains entre les siennes, et, la regardant avec une ardeur sérieuse : — Oui, reprit-il, devant deux témoins que personne ne voyait, mais qui n’en étaient pas moins là présens pour moi seul, — Dieu et mon cœur.

Fieka devint tout à coup très timide, et ses joues s’animèrent ; mais comme Heinrich tentait de passer son bras autour de sa taille :

— Non, dit-elle, se dégageant doucement... Pas ici, pas en ce moment ! ... Il faut que j’aie retrouvé mon père.

Sur ces mots, elle le quitta, se dirigeant du côté des prisonniers. Heinrich sentait s’en aller avec elle toute sa joie. Il était comme un arbre que la froide bise dépouille de son feuillage et livre frissonnant aux morsures de l’hiver ; mais quand il la vit revenir inopinément sur ses pas, les yeux humides, et quand d’une voix émue elle eut à deux reprises répété tendrement le nom de son bien-aimé, il sentit le printemps revenir, de nouvelles feuilles pousser à toutes les branches de l’arbre, et sous ces branches revivifiées il entendit chanter un essaim d’oiseaux amoureux.

— D’où venez-vous, Fieka ? demanda le vieux meunier à sa fille, et lorsque, penchée sur son épaule, tremblante encore de son trouble récent, elle lui eut raconté son entreprise, il la gronda vertement de s’être ainsi exposée. — Henrich seul, disait-il, aurait