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EN
L’ANNÉE TREIZE
SOUVENIRS D’UN BURGHER MECKLEMBOURGEOIS.

SECONDE PARTIE[1]


VIII.

Comme nous habitions la rathhaus, en quittant la salle d’audience, où il avait tenu sa bannière si droite, l’amtshauptmann n’eut que le vestibule à traverser pour entrer chez nous. Ma mère, je l’ai dit, était son amie intime, et cela depuis la jeunesse de l’un et de l’autre. Il avait toute certitude de la trouver chez elle, car, devenue impotente à la suite d’une longue maladie, cette excellente femme ne quittait guère son fauteuil, quand elle n’était pas contrainte par ses souffrances de garder le lit. Je ne me la rappelle que tricotant au fond de sa bergère, ou lisant accoudée sur son oreiller, non des romans ou autres frivolités, mais des ouvrages sérieux et prêtant à la méditation, entre autres le Marc-Aurèle que lui prêtait souvent l’amtshauptmann, et que j’ai maintes fois porté de l’un chez l’autre.

Ce jour-là, ma mère s’était levée, et, comme toujours, tricotait avec une assiduité de mercenaire à la pièce. Elle tendit la main à son cher visiteur, le compagnon préféré de ses heures si souvent solitaires. Parfois il étalait devant elle les trésors de sa sagesse et

  1. Voyez la Revue du 15 novembre.