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tout à l’heure : ministres ou exilés. Ni Milenko ni Dobrinjatz ne pouvaient demeurer des citoyens obscurs en des provinces accoutumées à subir leur domination. Pour de tels hommes et en de telles circonstances, le refus d’entrer au sénat équivalait à une menace d’hostilités pour l’avenir. On leur appliqua aussitôt comme à des rebelles le décret de la skouptchina. « Choisissez, leur dit-on, voici l’Autriche, la Turquie, la Valachie, la Russie ; où voulez-vous aller ? » Ils choisirent la Russie. Une escorte de cosaques et de troupes serbes les conduisit à la frontière.

Le bannissement des deux hospodars n’eut pas lieu tout à fait sans résistance ; leurs partisans se soulevèrent, et Kara-George fut obligé d’envoyer des troupes de Belgrade pour les soumettre. Ce commencement de guerre civile, après tout, ne faisait que justifier les mesures du dictateur. Il était clair que Milenko et Dobrinjatz, une fois revenus dans leurs districts, auraient divisé un pays qui avait besoin de toutes ses forces. On voit paraître ici et dans une attitude extraordinaire le personnage qui bientôt remplira toute cette histoire, l’homme qui, tour à tour bienfaisant et terrible, aussi rusé que hardi, politique sans scrupule, soldat indomptable, libérateur à la main de fer, attirera pendant un demi-siècle tous les regards de l’Orient. La province de Rudnik, dans la Schoumadia, avait pour hospodar un certain Milan Obrenovitch. esprit modéré, un peu timide, soutenu surtout par son demi-frère Milosch[1]. Milan Obrenovitch, qui faisait cause commune avec les ennemis de Kara-George, était mort à la fin de l’année 1810, et même le bruit avait couru qu’il avait péri empoisonné. Milosch, héritier de son pouvoir, avait été atteint, comme les autres chefs de la féodalité militaire, par les votes de la skouptchina du printemps de 1811. Tous les voïvodes qui lui étaient soumis jusque-là, Mutap, Lazare, Arsénije, Lomo, devenaient ses pairs. Aussi, apprenant que Milenko et Dobrinjatz venaient d’arriver à Belgrade après les votes de la skouptchina, il leur adressa un message pour les exciter à la lutte. « Résistez, disait-il, rassemblez vos amis, j’arrive avec mes troupes. » Les événement avaient marché plus vite que la lettre de Milosch ; ce ne fut pas à Dobrinjatz et à Milenko, c’est à Mladen qu’elle fut remise ; les deux hospodars venaient d’être chassés de la Serbie. Quelques jours plus tard, les amis des hospodars s’agitaient dans le district de Poscharevatz, et Milosch était au milieu d’eux. Kara-George s’y rend de sa personne, les tient tous en échec, et, faisant

  1. On verra par la suite de ces études que Milan et Milosch étaient fils de la même mère, mais non du même père. Milosch n’avait pas le droit de s’appeler Obrenovitch, c’est-à-dire fils d’Obren ; il était fils d’un pauvre valet de ferme nommé Théodore. C’est pour remplacer son frère Milan dans l’hospodorat de Rudnik que le fils du valet de ferme prit ce nom. d’Obrenovitch, devenu aujourd’hui le nom d’une dynastie.