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deux autres provinces, se débarrasser de lui par un coup de main, tel était le plan des conjurés. Les hospodars avaient des partisans à Belgrade ; Mladen au contraire y avait excité bien des haines, il serait facile de soulever le peuple contre lui, et dans la confusion de l’émeute on renverserait Kara-George. Assurément, même sans être averti, Kara-George était de force à déjouer le complot ; mais un singulier hasard lui découvrît tout. Un jour, au camp, il visitait un des héros de la guerre, le pope Lucas Lazarevitch, qu’une grave blessure retenait sous sa tente. Après lui avoir demandé de ses nouvelles, il lui dit en plaisantant, à la manière d’une contre-vérité : « Ainsi soit châtié quiconque ne fait pas son devoir ! » Lucas Lazarevitch s’était laissé entraîner dans la conjuration par désir de jouer un rôle, car il était aussi glorieux que brave ; il crut que tout était découvert. Éprouvait-il un remords en se rappelant qu’il avait été autrefois l’ami de celui qu’il voulait trahir ? Était-ce simplement la crainte et la honte de la défaite ? Bref, il demanda pardon et révéla ce qu’il savait. Quelques jours après arrive au camp le secrétaire particulier de Milan Obrenovitch, l’un des hospodars ; Kara-George ne tarde pas à le gagner et lui arrache les secrets de son maître.

Plus de doute, partant plus d’hésitation ; il fallait agir. Une occasion se présenta. On était au printemps de l’année 1811, et la skouptchina allait se rassembler. Les trois principaux hospodars, Milenko, Pierre Dobrinjatz, Jacob Nenadovitch, n’y parurent point, les deux premiers parce qu’ils attendaient l’arrivée des Russes, le troisième pour ne pas se séparer de ses amis. Kara-George profita de cette circonstance pour accomplir un coup d’autorité sans bruit, sans violence, de la façon la plus simple, et toutefois avec une précision mathématique. Il fit voter par la skouptchina, deux articles de lois qui changeaient l’état de fond en comble, et substituaient une monarchie administrative à la féodalité militaire. La première décision avait pour but de soustraire les voïvodes ou chefs inférieurs à la domination des hospodars et de les mettre directement en rapport avec le chef suprême. La seconde modifiait le rôle du sénat et y séparait les fonctions administratives des fonctions judiciaires ; il y avait parmi les sénateurs un petit nombre d’hommes qui n’étaient pas mêlés aux rivalités politiques, Kara-George leur confia le soin de rendre la justice ; les autres, les hommes d’action, étaient chargés des grandes affaires du pays. La guerre, les relations étrangères, l’intérieur, les finances, le culte, l’instruction publique, tous les intérêts de la communauté, se trouvaient donc attribués à des administrateurs (popetschiteli), c’est-à-dire à des ministres. Le chef-d’œuvre de cette combinaison, c’est que Kara-Georçe, en son