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Morava. On se rappelle que la Schoumadia, le cœur du pays serbe, est située entre la Koloubara à l’ouest et la Morava à l’est. Le plan de Kara-George est de rassembler toutes ses forces sur la rive droite de la Morava, sous les remparts de Kjupria, qui défendent le fleuve, et d’y tenir tête aux assaillans. Malheureusement les fuyards de Miloje, dans leur panique, avaient exagéré les choses. Tout est perdu, disait-on, voici les Turcs. Les deux chefs qui commandaient à Kjupria, Raditch et Jokitch, crurent bien faire de passer la Morava au plus vite après avoir détruit tout ce qui pouvait servir à l’ennemi, vivres et munitions, armes et retranchemens. Déjà Raditch transportait ses canons sur la rive gauche se jetait dans le fleuve ce qu’il ne pouvait emporter, déjà Jokitch mettait le feu aux remparts ; Kara-George arrive, et c’est pour voir brûler de la main des Serbes la forteresse où il voulait sauver la Serbie ! Sa colère fut telle qu’il fit tirer sur les troupes de Jokitch.

Ce n’était guère le moment de se livrer à ces fureurs aveugles. Les Turcs avançaient toujours, et, ne trouvant plus de résistance à Kjupria, ils occupèrent bientôt tout le pays situé à droite de la Morava, de Nisch à Poscharevatz. Avec eux marchaient la dévastation et la mort. Tout ce qui n’avait pu fuir dans la Schoumadia ou se réfugier dans les montagnes d’Omoljer était massacré. Les vainqueurs, s’ils passaient la Morava, n’étaient plus qu’à deux journées de Belgrade. Kara-George s’était porté à toute vitesse sur Poseharevatz pour couvrir la capitale. Ses principaux amis et lieutenans, Mladen, Sima, Vuitza, combattaient à ces côtés. On était encore en mesure de résister aux Turcs. Le danger augmentait pourtant, et le conseiller russe dont nous avons déjà parlé, M. Rodofinikin, ne se croyant plus en sûreté à Belgrade, se réfugia de l’autre côté du Danube. Un des adversaires de Kara-George, Pierre Dobrinjatz l’accompagnait sur la terre autrichienne.

Nos documens ne nous donnent ici aucun détail sur les intentions du hospodar serbe et du conseiller moscovite. Était-ce la crainte des Turcs qui les faisait fuir ? Rien de plus naturel, s’il s’agit du diplomate ; mais Pierre Dobrinjatz se serait perdu en quittant son poste à l’heure du péril. On ne se tromperait guère, à notre avis, en conjecturant qu’ils allaient presser l’arrivée de leurs amis du nord. Bien des symptômes épars dans les récits du temps nous disposent à croire que les hospodars serbes poursuivaient deux buts en appelant les Russes à leur secours, d’abord sauver la Serbie, ensuite diminuer l’autorité de Kara-George. Les chefs qui les premiers auraient ouvert le pays serbe à l’influence moscovite devaient naturellement compter sur l’appui de Saint-Pétersbourg. Ce qu’il y a de certain, c’est que Kara-George, précisément vers l’époque où Pierre