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appels des Monténégrins. Parmi les chants belliqueux de cette période, M. Ranke en signale un dont l’auteur était le vladika même du Monténégro. — « Gloire aux Serbes ! s’écrie le vladika, les mosquées turques s’écroulent devant leurs armes ; gloire à Kara-George ! il fait flotter la bannière de l’empereur Douschan, et les vilas des forêts couronnent sa tête de lauriers. Il chassera les Ottomans de la Bosnie et de l’Herzégovine, il s’alliera aux Monténégrins, invincibles gardiens de l’indépendance orientale contre les Latins et les Turcs. »

N’oublions pas d’autres circonstances qui expliquent aussi l’entreprise extraordinaire de Kara-George. Tant que Sélim III régnait, on pouvait espérer un arrangement avec le sultan réformateur. Sélim avait accepté en principe la convention pacifique de Pierre Itschko ; les circonstances seules, la pression de ses conseillers, la résistance des ulémas, l’avaient empêché d’y donner suite. On comptait cependant sur la générosité de son cœur ; il n’était pas impossible que la politique éclairée du souverain triomphât du fanatisme des sujets. Depuis les événemens du mois de juin 1808, tout espoir était perdu ; c’était le fanatisme qui l’emportait. Condamné par les ulémas, insulté par le peuple, le sultan giaour avait été égorgé dans son palais par les janissaires. Les Serbes n’avaient donc plus rien à attendre de ces idées européennes qui avaient pénétré en Turquie ; une réaction furieuse éclatait dans tout l’empire, ceux qui avaient secondé Sélim étaient frappés comme lui, et les gardiens des vieilles croyances allaient ordonner aux janissaires de commencer la guerre sainte, la guerre sans trêve ni merci, contre les raïas révoltés. Kara-George dut croire que le plus sûr moyen de résister à cette agression inévitable était de soulever tout le nord-ouest de la Turquie, c’est-à-dire d’associer à la cause des Serbes les chrétiens opprimés de Bosnie et les libres montagnards du Monténégro. Il faut se rappeler enfin que la guerre venait d’éclater entre les Turcs et les Russes (1809).

Les commencemens de la lutte furent heureux pour les Serbes. Kara-George battit les Turcs à Souvodol, détruisit la forteresse de Sjenitza, à l’entrée de l’Herzégovine, et, s’avançant toujours, souleva partout les raïas. Des Monténégrins accoururent à lui ; quelle joie pour ces Serbes sauvages de la noire montagne de se joindre aux Serbes plus civilisés du Danube ! Ils saluaient dans Kara-George un des héros des poésies nationales, ils admiraient les bataillons en bon ordre, les belles armes enlevées aux Turcs, les canons surtout, les premiers qu’ils eussent vus. C’est à Novipasar, au sud-ouest du pays serbe, que Kara-George avait établi son quartier-général. Le poste était bien choisi ; de là on domine la route qui