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et d’activité, il aurait rendu de grands services à la cause nationale. L’état naissant se serait constitué plus vite et eût évité bien des crises. Ce fut lui au contraire qui fournit les griefs les plus sérieux à cette féodalité militaire que Kara-George avait à combattre. Il s’était enrichi par le pillage à la prise de Belgrade. Depuis, associé à un certain Miloje, son ancien compagnon d’aventures et d’affaires, il avait mis la main sur presque toutes les ressources de la ville ; les maisons les mieux situées, les métiers les plus avantageux, les endroits où il pouvait établir des péages et dominer le commerce, il avait tout prix. Pourquoi avait-on chassé les Turcs, si Mladen et Miloje se substituaient aux oppresseurs des Serbes ? Ainsi parlaient les pauvres gens, et deux sénateurs dévoués aux hospodars recueillaient avidement les plaintes. Elles devinrent si violentes que Kara-George, malgré son amitié pour Mladen, dut se séparer de lui : Mladen fut chargé d’une mission qui l’éloignait de Belgrade et l’appelait sur la frontière de l’est. Yougovitch, le secrétaire du sénat, fut écarté de la même façon.

Kara-George avait fait acte de justice en éloignant Mladen ; il ne fallait pas cependant abandonner le terrain aux hospodars. L’intérêt de la cause commune était ici parfaitement d’accord avec son intérêt personnel. Outre qu’il avait reçu le dépôt de l’unité et que la nation comptait sur lui, des symptômes inquiétans ne tardèrent point à se produire. Un diplomate de Saint-Pétersbourg, M. Rodofinikin, venait d’arriver à Belgrade avec la mission d’observer le pays et de conseiller l’état naissant. Bien des choses lui déplurent dans les institutions serbes ; il blâmait le système des momkes, ces hommes dévoués à un chef de leur choix, et qui, armés de pied en cap, l’accompagnaient partout ; il blâmait la liberté trop grande attribuée aux voïvodes vis-à-vis des hospodars, et proposait de leur donner une solde régulière en réduisant leurs franchises. Or c’étaient ces franchises qui leur permettaient de ne pas subir la domination des hospodars, et de se rattacher plutôt, suivant leur instinct du bien public, au commandant suprême. Kara-George fut persuadé que l’envoyé du tsar était venu servir ses adversaires. Autre symptôme encore et autre danger : le métropolitain de Belgrade, nommé Léonti, était un de ces prélats grecs envoyés en Serbie par le patriarche de Constantinople, et qui ressemblaient plus à des fonctionnaires turcs qu’à des prêtres chrétiens. Un des envoyés du divan venus pour conclure la paix avec les Serbes était resté à (Belgrade après la rupture des négociations et s’était mis au service de Léonti. C’était un phanariote appelé Nicolas. Il accompagnait l’archevêque dans ses tournées pastorales, et l’archevêque disait au peuple : « A quoi songez-vous de vous battre pour ceux qui ont commencé cette