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serons des lenteurs, et le projet tombera de lui-même à l’eau. » Il en fut effectivement ainsi. Napoléon, qui ne se défiait point en matière religieuse des opinions de Cambacérès, de MM. Regnauld de Saint-Jean-d’Angely, Boulay et Merlin, découvrit, en les discutant avec eux, les inextricables difficultés de la mise à exécution de la loi qu’il avait d’abord songé à faire porter au corps législatif. S’il y renonça, si le schisme dont fut un instant menacée la France fut évité, voilà pourtant, en toute vérité, à quels docteurs l’église en fut principalement redevable.

Au reste l’hésitation, hâtons-nous de le dire, ne régnait pas alors seulement dans le sein des conseils du gouvernement. À cette époque de sa vie, l’empereur lui-même était tour à tour en proie sur ce sujet aux sentimens les plus opposés; sa conduite et son langage changeaient continuellement et présentaient du jour au lendemain les plus étranges contrastes. Certes l’impression qui semblerait à première vue résulter le plus clairement des scènes que nous avons mises sous les yeux de nos lecteurs, des paroles arrogantes dictées à M. de Chabrol pour qu’il les fit entendre au saint-père à Savone, de l’orgueilleuse allocution directement adressée au chapitre de Paris, c’est que non-seulement l’empereur était plein de confiance dans la rectitude de sa conduite à l’égard du chef de l’église catholique et dans l’excellence de sa thèse au sujet de l’institution canonique des évêques, mais aussi qu’il se tenait pour certain d’avoir de son côté dans cette querelle l’opinion des hommes éclairés, la sympathie des honnêtes gens et le sentiment des masses. Au fond, il s’en fallait de beaucoup qu’il en fût ainsi. Tant d’assurance servait uniquement à recouvrir de sérieuses inquiétudes; Napoléon, attentif à faire naître chez les autres de trompeuses illusions, se rendait bien compte pour lui-même de l’état véritable des esprits, et démêlait parfaitement qu’entre le pape et lui l’opinion publique, bien que si mal informée et si sévèrement contenue, était plutôt favorable à son adversaire. Le bref récemment adressé de Savone par Pie VII au cardinal Maury avait excité chez lui le même mélange de colère réelle et de dédain affecté qu’avait naguère produit la bulle d’excommunication. Dans les deux occasions, son attitude fut semblable. Devant les familiers dont il était sûr, il parlait de l’acte d’omnipotence religieuse que le pape venait de se permettre comme d’une très dangereuse mesure ourdie par le saint-père avec la plus perfide noirceur. En présence des membres du clergé, il avait soin de n’y faire que des allusions vagues et détournées, comme à une vaine manifestation à laquelle il n’attachait aucune importance. Dans ses actes publics et dans ses harangues officielles, jamais il n’en fut seulement question. L’inconsistance de cette conduite démontre à quel point, malgré son mépris affiché