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Potserje. » Et, en voyant ce frêle jeune homme si doux, si fier, auprès du sombre Kara-George, on pensait à l’amitié des deux héroïques probratimes, Marko Kralievitch et Milosch Obilitch.

Les bandes se reformaient donc sous l’action de Kara-George et du jeune voïvode. Harcelés, décimés dans de continuelles rencontres, les envahisseurs de la Matschva s’étaient vus obligés de concentrer leurs forces sous les murs de Schabatz. Schabatz est une forteresse construite sur la rive droite de la Save, à moitié chemin entre la frontière de Bosnie et Belgrade. Kara-George résolut de les y suivre ; avec 7,000 fantassins et 2,000 cavaliers, il vint camper à Mischar, à une lieue de Schabatz, et s’y fortifia solidement. Pendant deux jours, les Bosniaques essayèrent en vain de forcer les remparts des Serbes. Le second soir, furieux de battre en retraite, ils exhalaient leur rage en provocations. « Ce ne sont que des escarmouches, à demain la bataille ! Vous avez tenu deux jours, le troisième décidera tout. Demain décidera si nous devons retourner en Bosnie, ou si vous vous enfuirez à toutes jambes jusqu’à Smederevo. Vous verrez comment nous traitons les haïdouks. » Les chroniques recueillies par M. Vouk Stefanovitch affirment que Bosniaques et Autrichiens des contrées environnantes avaient passé la Save pour assister à la bataille. C’était la première fois depuis le début de l’insurrection que des forces considérables allaient se mesurer en champ clos. Du haut des montagnes, sur les rochers, dans les arbres, des centaines de spectateurs étaient venus juger les coups, et parmi eux combien de gens, avec des sentimens divers, répétaient le pronostic des Turcs : pauvres Serbes ! malheur aux haïdouks !

Aussitôt la nuit venue, Kara-George, acceptant la bataille pour le lendemain, envoie ses cavaliers dans la forêt voisine avec l’ordre de s’y tenir cachés tant que les Serbes n’auront pas ouvert leur feu. Ils laisseront les Turcs commencer l’attaque, et, quoi qu’il arrive, demeureront immobiles ; à la première décharge des retranchemens, qu’ils s’élancent à toute bride, prenant l’ennemi à dos ! L’infanterie reçoit des ordres analogues : attendre les assaillans de pied ferme, essuyer le feu sans riposter, enfin ne tirer qu’au signal du chef, quand les Turcs seront assez près pour que chaque coup touche le but. À l’abri des redoutes, derrière les pieux, derrière les arbres, les plus habiles tireurs haïdouks et chasseurs des forêts, occupent les postes d’avant-garde ; il faut que d’une main sûre chacun d’eux jette le plomb à l’ennemi en pleine poitrine.

Dès l’aube, c’était un des premiers jours du mois d’août 1806, le séraskier Kulin-Kapetan s’ébranle de son camp de Schabatz avec sa terrible infanterie bosniaque et ses riches escadrons. Les chefs