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Tel fut en effet bientôt le nom donné à Sélim, comme plus tard à Mahmoud. Partout où Sélim essaie d’introduire ses réformes, pendant cette années 1805, des révoltes éclatent. Le fanatisme musulman soutient les janissaires contre les agens du sultan giaour. C’est à ce moment que les envoyés des Serbes apportent à Constantinople les conditions si fières formulées en toute candeur par Kara-George et ses compagnons. Éperdu, irrité, voyant partout des ennemis, Sélim cède à la fatalité de son rôle. Le chef de la foi est contraint d’infliger un démenti au souverain généreux. Au lieu de répondre aux envoyés de Kara-George, il les fait mettre sous bonne garde et donne à un de ses lieutenans, Afiz, pacha de Nisch, de partir à la tête de ses troupes pour désarmer les Serbes.

Voilà donc la grande guerre engagée, non plus la guerre contre les dahis, contre les janissaires ennemis du sultan Sélim, mais la guerre de quelques milliers de montagnards contre toutes les forces de l’empire ottoman ! Afiz-Pacha se dirige vers Belgrade avec son armée ; pour lui barrer le passage, Molenko et Pierre Dobrinjatz, à la tête de 2,500 hommes, élèvent deux retranchemens sur la frontière du pachalik, entre Kjupria et Palakyne. Derrière eux est Kara-George avec le peuple de la Schoumadia. Afiz se vantait d’apporter des cordes pour ramener pieds et poings liés les chefs de l’armée serbe, ainsi qu’une provision de couteaux de poche et de bonnets de paysans pour tous ces fiers porteurs de turbans et de cimeterres. Il ne tenait plus le même langage quand il eut essayé de forcer les retranchemens de Milenko. Étonné de la résistance de cette petite avant-garde, il comptait déjà ses pertes avec épouvante lorsque des éclaireurs accoururent, jetant une nouvelle terrible : Kara-George arrivait avec 10,000 hommes ! Afiz leva son camp, battit en retraite, et bientôt, malgré les provocations de Kara-George, désespérant de mener son entreprise a bonne fin, il reprit le chemin de son pachalik. Les chroniques serbes assurent qu’il mourut peu de temps après, emporté par la douleur et la honte.

Les Serbes ne se faisaient pas illusion : la fuite d’Afiz-Pacha n’était que le signal d’une lutte bien autrement redoutable. Le sultan ne tarderait point à envoyer contre eux de nouvelles troupes, des troupes plus nombreuses et mieux commandées. Il fallait donc s’attendre à un grand choc, rassembler toutes ses ressources, être prêt à toute heure, partout surveiller l’ennemi. Les Serbes étaient maîtres de l’intérieur du pays, les Turcs occupaient encore un certain nombre de forteresses où ils cherchaient à se maintenir sans inquiéter les Serbes, se bornant à attendre les ordres ultérieurs de Constantinople. Un jour, un personnage considérable parmi les Serbes, Giuska Voulitschevitch, voïvode du district de Smederevo,