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durant cette formidable épreuve, ceux-là s’en affligeront sans pouvoir s’en étonner qui savent à quel point la débilité maladive de la pauvre intelligence humaine se mesure souvent à l’élévation même de l’esprit, à la sensibilité plus exquise de la délicatesse morale, et comment, parmi les dangereuses secousses qui peuvent déranger un si fragile équilibre, il n’y en a pas de plus terribles que celles qui sortent des profondeurs de la conscience, particulièrement de la conscience religieuse. Combien douloureuses et combien meurtrières parfois sont ces cruelles perplexités où s’agitent ces natures d’élite, que tourmentent incessamment de pieux scrupules ignorés le plus souvent du vulgaire, et pour de si terribles combats quel champ-clos que la conscience d’un pontife régulateur souverain à ses propres yeux de tant d’autres consciences ! Le malheureux Pie VII, détrôné, captif et malade, pliait avec honneur sous le poids accablant de la situation que lui avait faite, sans qu’il en fût responsable, la constitution séculaire de l’église catholique. Quant à l’empereur, qui avait tout emporté de haute lutte contre tous ses adversaires, qui avait mis le continent à ses pieds, ses sujets sous le joug, qui tenait l’église gallicane à sa merci et venait de faire céder le pape lui-même, il se trouvait, à la veille du concile national, placé par sa propre faute vis-à-vis de l’Europe, vis-à-vis de la France et de l’église gallicane dans la plus fausse des positions. S’il possédait une sorte de traité arraché par la violence au saint-père, il ne pouvait le produire, puisque celui-ci le démentait aujourd’hui hautement, et menaçait, si l’on en faisait usage, de provoquer quelque terrible éclat, Encore moins pouvait-il convenir de l’état où ses violences avaient mis le chef de la catholicité. Cerné au milieu de tant d’embarras qu’il avait à plaisir accumulés autour de lui, Napoléon prit d’abord le parti d’ajourner quelque peu, du 9 au 17 juin, la convocation du concile. Ajourner cependant n’était pas résoudre, et le 17 juin les mêmes difficultés se dressaient encore tout entières devant lui… Il nous reste maintenant à dire comment il ne parvint jamais à les surmonter. Les événemens lamentables de Savone, qui viennent d’être pour la première fois porté à la connaissance du public, devinrent en effet, comme on va bientôt le voir, la cause principale de l’avortement définitif du concile de 1811.


D’HAUSSONVILLE.