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imaginaire pour congédier les évêques le 17 mai, lorsqu’il s’était plaint de ne pouvoir continuer à parler avec eux d’affaires parce qu’il avait la tête trop fatiguée. La vérité est que depuis plusieurs nuits le pape ne dormait plus. On avait fait tant d’appels à sa sensibilité, on avait si souvent, et si violemment agi sur ses nerfs, que toute sa constitution s’en trouvait profondément ébranlée. Il avait depuis quelques jours le sentiment qu’il ne se possédait plus, et qu’il était (ce sont les expressions dont il se servit lui-même) dans un état d’ivresse. Rien d’extraordinaire n’apparut toutefois dans ses façons extérieures pendant tout le temps que les évêques demeurèrent à Savone. Dans la nuit qui précéda leur départ pour la France, l’aide-camérier qui dormait dans la chambre contiguë à celle où reposait le pape l’entendit pour la première fois jeter de profonds soupirs, s’accusant lui-même à haute voix dans les termes du plus vif repentir. Dès sept heures du matin, il faisait appeler M. La Gorse, commandant du palais s’informant avec une inquiétude extrême si les évêques étaient partis, et faisait prier le préfet de Montenotte de passer immédiatement chez lui. Avant que M. de Chabrol ne fût arrivé, Pie VII manda derechef auprès de lui M. La Gorse, et tout de suite il lui expliqua avec beaucoup d’émotion qu’il n’avait pas fait attention la veille aux dernières lignes de la note qui lui avait été laissée, qu’il ne pourrait y accéder, qu’il fallait prévenir les évêques par courrier, et, priant le commandant du palais de s’asseoir pendant qu’il corrigeait une apostille écrite à la marge de la note qu’il tenait à la main, il se mit à y ajouter tant de corrections et d’interlignes qu’au moment où arrivait, une demi-heure après, M. de Chabrol, cette note était devenue très difficile à comprendre[1].

En homme prudent qu’il était, le préfet de Montenotte se garda bien d’ajouter au trouble du saint-père en le contredisant. Aussi bien il lui avait trouvé tout d’abord, écrit-il à M. Bigot, « l’attitude d’un homme qui a pris un parti et qui ne veut écouter aucune raison contraire. » C’est pourquoi il prit simplement la note des mains de Pie VII, et se retira pour la déchiffrer avec le docteur Porta. Bientôt le pape le fit rappeler. Cette fois ce n’était plus dans la dernière phrase de la note, c’était dans le premier article que le saint-père voyait une grande difficulté. « Il convenait qu’il avait bien lu cet article, mais c’avait été une erreur de sa part : il était nécessaire qu’à cet article on en substituât un autre. » M. de Chabrol, désespéré de voir s’échapper le fruit de toutes ses peines, remontra doucement à Pie VII que ces continuelles variations compliquaient

  1. Lettre de M. de Chabrol au ministre des cultes, 22 mai 1811.