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les métropolitains juges des refus du pape, sa conscience qu’il doit suivre, les maux à craindre pour l’église, si les empereurs ou autres souverains venaient à nommer des évêques suspects ou égarés dans la foi[1]. » En réponse à ces objections du souverain pontife, les évêques s’étaient mis à parler à leur tour des maux immenses pour l’église, de la perte irréparable des prérogatives du saint-siège, des calamités qui avaient frappé tant d’individus attachés au pape et qui souffraient encore à cause de lui. Pie VII en avait paru touché, et, levant les yeux au ciel, s’était écrié : Pazienza. Sa conscience toutefois ne lui permettait pas de céder. « Je n’ai point de conseils, ajoutait-il, et le chef de l’église est en prison. S’il était libre et avec des conseils, il trouverait peut-être des moyens de tout arranger. Plus vident oculi quam oculus[2]. » Au lendemain de cette entrevue, les évêques prenaient le parti de remettre au saint-père une note écrite dont ils avaient confié la rédaction à la plume habile de M. Duvoisin. Pie VII ne voulut pas la recevoir. Il en écouta seulement la lecture, faite en italien par le patriarche de Venise ; mais il persista dans son ; refus, disant qu’elle était bien le résumé fidèle des. entretiens qui avaient eu lieu et sur lesquels il avait bien réfléchi, et qu’elle lui était inutile. Les évêques étaient profondément découragés. Ils regardaient leur mission comme à peu près terminée. « Cependant, disaient-ils à la date du 14 mai, nous resterons encore ici le reste de la semaine, d’abord parce que sa majesté nous l’a permis, et puis afin de laisser au pape ce peu de jours pour réfléchir et se résoudre… Sa bonté, sa douceur, sa résignation et même sa bienveillance pour nous n’ont pas varié un seul moment. Depuis notre arrivée, il dort peu, et se plaint souvent de sa santé[3]. »

Évidemment les évêques se sentaient à bout de voie. On comprend même, d’après le ton de leur correspondance, que, tout en restant imbus des idées que l’empereur leur avait si fortement inculquées au départ, ils étaient un peu plus attendris qu’ils ne le laissaient voir, et beaucoup plus que Napoléon ne l’aurait souhaité, à la vue du spectacle qu’ils avaient sous les yeux. Insensiblement, presque sans s’en douter, ils étaient en train de quitter le parti du puissant empereur triomphant pour passer dans celui du malheureux pontife prisonnier. Il était temps que M. de Chabrol intervînt et fît emploi des moyens d’action qu’il s’était ménagés. Il

  1. Troisième lettre des évêques dépotés au ministre des cultes, 13 mal 1811. — Fragmens historiques, p. 274.
  2. Ibid.
  3. Quatrième lettre des évêques au ministre des cultes, 14 mai 1811. — Fragmens historiques, p. 276.