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Les renseignemens obtenus par M. de Chabrol étaient à peu près exacts, sauf que le médecin Porta, suivant l’usage des personnes qui acceptent la tâche dont il s’était chargé, avait, pour se faire valoir, représenté les choses comme beaucoup plus avancées qu’elles ne l’étaient en réalité, et que les dispositions du saint-père, quoique conciliantes, étaient loin d’être aussi favorables. Les évêques s’en aperçurent à leur seconde audience. L’accueil qu’ils reçurent fut comme la première fois très bienveillant ; il y avait même une nuance de cordialité dans la réception faite par Pie VII à son compatriote italien le patriarche de Venise, qui était arrivé la veille à Savone. Le pape avait lu cette fois la lettre du cardinal Fesch. Le premier il se mit à parler des conditions que l’oncle de l’empereur indiquait comme étant les préliminaires indispensables de la pacification, « et tout de suite il témoigna la plus vive et la plus constante répugnance à les admettre tant qu’il resterait privé de ses conseillers naturels[1]. » Là-dessus, avec quelques détours de modestie (ce sont leurs propres expressions), les trois évêques se proposèrent pour les remplacer quant à présent, tant à raison de leur qualité d’évêques que par suite de leur attachement au saint-siège et à la personne du pape. Quoique cette démarche eût été convenue. d’avance avec l’habile préfet de Montenotte, il est en vérité difficile de s’expliquer comment ces messieurs osaient la tenter. Avaient-ils donc oublié qu’ils avaient reçu, bien qu’ils ne les avouassent pas encore, des pleins pouvoirs pour négocier contradictoirement avec le pape ? Ne se rappelaient-ils plus que leurs instructions si formelles à cet égard leur prescrivaient de n’accepter que des conditions déjà irrévocablement arrêtées ? De mémoire de diplomate, quel ambassadeur laïque doué seulement de la plus simple honnêteté avait jamais songé à cette bizarre combinaison de s’offrir lui-même pour donner ses avis à la puissance avec laquelle il avait mission de traiter ? En pareille occurrence, le moins avisé n’eût-il pas d’abord senti que la force des choses ne pouvait manquer de le conduire inévitablement à trahir la confiance de l’une ou l’autre des parties ? Comment des prélats distingués pouvaient-ils donc s’imaginer, ne fût-ce que pour un instant, qu’il leur serait donné de se tirer honorablement d’une situation aussi fausse, démener de front sans faiblir, c’est-à-dire sans prévariquer, l’accomplissement de deux rôles aussi inconciliables ? Pareille aberration serait pour nous incompréhensible, si déjà trop souvent au cours de cette histoire nous n’avions eu l’occasion d’observer combien vite s’oblitèrent les

  1. Seconde lettre des évêques députés au ministre des cultes, Savone, 12 mai 1811, — Fragmens historiques de M. de Barral, p. 268.