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jusqu’à Savone par une estafette particulière. S’ils voulaient faire transmettre quelque chose par le télégraphe de Turin, ils pourraient adresser leurs dépêches télégraphiques au chef d’état-major du prince Borghèse. Le plus grand secret devait être gardé sur cette mission, et personne au monde ne devait en avoir connaissance[1].

L’empereur attachait une importance telle au silence absolu qu’il chargea plus tard son ministre des cultes de réprimander vertement le préfet de Montenotte parce que celui-ci avait eu le tort impardonnable de n’avoir pas dérobé au prince Borghèse et au ministre de la police la connaissance de cette mystérieuse négociation[2]. M. de Chabrol était en effet la seule personne à qui les trois évêques envoyés de Paris avaient pouvoir de confier le but réel de leur mission. M. Bigot de Préameneu leur avait même très particulièrement recommandé, de la part de l’empereur, de le consulter fréquemment, « parce que c’était un homme sûr et intelligent, qui pourrait leur donner des renseignemens très utiles sur le caractère et les dispositions du pape[3]. » En réalité, deux négociation allaient s’ouvrir à Savone. L’une, presque officielle pour ainsi dire, quoique encore fort secrète et d’un caractère purement ecclésiastique, était conduite par les trois prélats, qui chaque jour en rendaient compte au ministre des cultes par des lettres que M. de Barral a depuis fait imprimer dans ses Fragmens historiques et qui sont par conséquent déjà connues du public ; l’autre, infiniment plus réservée, exclusivement politique, et rendue tout à fait effective par l’emploi des plus fâcheux moyens, échut entièrement à M. de Chabrol, sans doute parce que des évêques auraient pu difficilement s’en charger. De cette négociation réservée, M. l’archevêque de Tours n’a jamais fait mention. Évidemment, s’il a tout su, il ne lui a pas convenu de tout dire. Ses dépêches à M. Bigot de Préameneu et le rapport qu’il a plus tard adressé à ses collègues de la congrégation générale sont bien loin de mettre le public sur la trace de la vérité. A lire uniquement les lettres imprimées du

  1. Lettre de l’empereur au comte Bigot de Préameneu, ministre des cultes, 24 et 26 avril 1811. — Correspondance de l’empereur Napoléon Ier., t. XXII, p. 105 et 110.
  2. «… Il est nécessaire que vous fassiez connaître au préfet de Savone que je n’approuve pas le compte qu’il a rendu au gouverneur-général et au préfet de police, qu’il a mis ces deux fonctionnaires dans des confidences qu’ils ne devaient pas connaître. Ces affaires secrètes ne regardent que vous. J’ai vu avec surprise surtout qu’il ait fait connaître au prince Borghèse et au ministre de la police la partie de la négociation relative aux évêques, qu’il devait ignorer complètement, M — Lettre de l’empereur Napoléon au comte Bigot de Préameneu, 20 mai 1811. (Cette lettre n’a pas été insérée dans la Correspondance de Napoléon Ier.)
  3. Lettre de M. Bigot de Préameneu à M. l’évêque de Tours, 28 avril 1811, citée par M. de Barral, Fragmens historiques, p. 254.