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L’ESCLAVE À ROME.

des premiers chrétiens, et, dans une inscription ancienne de la Gaule rapportée par M. Le Blant, un fidèle nous dit « que pour la rédemption de son âme il a fait en mourant un affranchi ». Le sentiment différait chez les Romains, mais le résultat était le même. L’humanité, suppléant à la religion, disait qu’on ne peut pas sortir plus noblement de ce monde qu’en adoucissant les misères de ceux qu’on y laisse, que le moment de la mort est celui qui convient le mieux pour payer les dettes de la vie, et qu’il n’y a rien de plus honorable et de plus désintéressé que de faire du bien même après qu’on a cessé de vivre.

Ces affranchissemens achetés ou gratuits étaient devenus si fréquens au premier siècle de l’empire qu’on vit tout d’un coup l’autorité s’en effrayer. Au moment où l’opinion publique paraît le mieux disposée pour l’esclave, où la loi même commence à s’adoucir en sa faveur, Auguste prend des mesures sévères pour l’empêcher d’arriver trop vite à la liberté. Il exige qu’on ne puisse pas la donner avant l’âge de vingt ans ni la recevoir avant celui de trente, il met des entraves à la libéralité des maîtres selon leur fortune, il défend qu’on puisse jamais affranchir plus de cent esclaves à la fois par testament. Comment expliquer cette contradiction étrange, et que signifie ce retour inattendu de rigueur quand de tous côtés les mœurs deviennent plus humaines et plus clémentes ? C’est qu’on s’était aperçu un peu tard du péril que l’affranchissement et par suite l’esclavage faisaient courir à la société romaine. Sans imiter les cités grecques, qui fermaient impitoyablement leurs portes à l’étranger, Rome prétendait bien n’ouvrir les siennes qu’avec discrétion. Elle entendait ne pas prodiguer sans choix ce titre de citoyen qui lui semblait le plus beau qu’un homme pût porter. On l’avait vue résister longtemps aux instances de l’Italie, qui réclamait le droit de cité, et soutenir à ce propos une guerre terrible où elle faillit périr, et, pendant qu’elle éloignait d’elle avec tant d’obstination ces peuples honnêtes et énergiques qui l’avaient aidée à vaincre le monde, elle ne s’apercevait pas que tous les jours, comme par une invasion lente et continue, l’étranger pénétrait chez elle. Depuis les guerres puniques jusqu’à l’empire, le peuple de Rome s’est principalement recruté dans l’esclavage ; ce sont des affranchis qui ont comblé les vides que la guerre faisait parmi les citoyens, et, ce qu’il y a de pis, ces affranchis venaient surtout des esclaves de la ville, les plus mauvais de tous. Cette race de fainéans et de débauchés, comme les appelait Columelle, s’entendait à gagner les bonnes grâces du maître par les plus honteuses complaisances, et la bassesse les conduisait vite à la liberté. Pline le Jeune, qui n’était pas un profond politique, se réjouissait avec effusion quand il