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L’ESCLAVE À ROME.

mettraient d’outrager leurs restes. Quand on parvient à lire les inscriptions, que l’humidité a presque effacées, on y trouve des noms d’esclaves, d’affranchis, d’hommes libres, d’ouvriers, de négocians. L’un de ces columbaria contient même l’épitaphe de deux Grecs qui faisaient partie d’une ambassade d’un roi du Bosphore. Ils moururent à Rome, et leurs collègues achetèrent deux places pour les faire enterrer. Toutes ces personnes de fortune et d’origine diverses reposent côte à côte, sans distinction, comme les chrétiens aux catacombes ; mais ce sont les pauvres, les petites gens, les esclaves surtout, qui sont les plus nombreux. Et quand on se souvient qu’ils ne se sont procuré ces tombes modestes qu’en épargnant sur leur maigre régime, quand on pense à toutes les privations et à toutes les douleurs que représentent cette urne de terre et cette petite plaque de marbre, on se sent disposé à les regarder avec plus d’émotion que le mausolée de Cécilia Métella ou la pyramide de Cestius.

L’autre manière et la meilleure d’échapper à la servitude, c’était l’affranchissement. Il avait lieu de deux façons : ou l’esclave achetait la liberté de son argent, ou il la recevait de la générosité du maître. Le prix qu’il donnait pour la payer n’était pas toujours le même. Dans le recueil d’Orelli, un affranchi nous dit qu’il a payé 7 000 sesterces (1 400 francs) pour être libre ; mais c’est un savant homme qui s’appelle lui-même medicus, clinicus, chirurgus, ocularius. Voilà bien des talens, et l’on comprend que le maître n’ait pas consenti à se défaire à bon marché d’un homme aussi utile. S’il a tenu à nous faire savoir le prix de son affranchissement, c’est qu’il était exceptionnel et témoignait de son importance. Un autre raconte dans Pétrone que sa liberté lui a coûté 1 000 deniers (900 francs). La somme est déjà plus modeste, et pourtant je la crois encore exagérée. Ce personnage est un vaniteux qui voudrait bien nous faire croire qu’il était très précieux à son maître et lui rendait beaucoup de services. C’est le même qui, parlant des esclaves qu’il possède lui-même, emploie cette expression impertinente : « Je nourris vingt ventres et un chien, viginti ventres pasco et canem ». Il faut, je crois, abaisser un peu ces chiffres et supposer que le prix moyen de l’affranchissement d’un esclave était à peu près celui de l’achat, c’est-à-dire 5 ou 600 francs. C’était encore beaucoup pour lui, et l’on se demande par quelle merveille d’épargne ou d’industrie il arrivait à réunir cette somme. Sénèque dit que les esclaves économisaient sur leur nourriture. « Ils donnent pour leur liberté l’argent qu’ils ont réuni aux dépens de leur ventre, ventre fraudato ». On est un peu surpris de cette source d’économie quand on connaît le triste régime des esclaves ; que pouvaient-ils donc épargner sur l’ordinaire de Caton ? Heureusement ils avaient d’autres ressources. À la campagne, celui dont le maître