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où Mécène fit plus tard construire sa belle maison, et où se trouvent aujourd’hui les thermes de Titus. Échapper à cet outrage qui attendait ses restes était la pensée constante de l’esclave ; il se privait de tout pendant sa vie pour avoir une tombe après sa mort. « Ce tombeau, dit l’un d’eux dans son épitaphe, je l’ai fait de mes économies, frugalitate mea feci ». Quand les économies n’y suffisaient pas, ce qui arrivait fréquemment, les amis s’entendaient quelquefois pour en faire les frais. Les inscriptions de Naples nous montrent trois esclaves qui se sont réunis pour élever un tombeau à un camarade, et qui même y ont fait graver deux vers touchans. Souvent l’esclave ou l’affranchi devenu riche se faisait construire un monument spacieux et y gardait des places pour ses amis. La plus grande marque d’affection qu’on pût donner à quelqu’un, c’était de le recevoir dans son tombeau ; aussi en trouvons-nous un qui, après avoir indiqué ceux auxquels il accorde cette faveur, s’excuse timidement auprès des autres : vos ceteri ignoscetis ; mais, comme on ne pouvait pas toujours compter sur la complaisance de ses camarades, le plus sage était de se pourvoir soi-même d’une tombe. Beaucoup se faisaient recevoir dans ces sociétés qui couvrirent alors l’empire et qu’on appelait des associations pour les funérailles (collegia funeraticia). Quelques-unes formaient de véritables compagnies d’assurance. L’esclave donnait 5 as (25 centimes) par mois ; à sa mort, il avait droit à une sépulture convenable, et, pour lui faire honneur, la société envoyait à ses obsèques quelques confrères auxquels on distribuait 1 sesterce (20 centimes) auprès du bûcher. Souvent aussi il achetait une place dans ce qu’on appelait des colombiers (columbaria) ; c’étaient des caves d’une assez vaste étendue, dans les murs desquelles on creusait de petites niches semi-circulaires qui contenaient une ou deux urnes. Au-dessus de la niche, une petite plaque de marbre nous apprend le nom et l’âge de celui dont l’urne renferme les restes[1]. On a retrouvé plusieurs de ces monumens dans la campagne romaine, et ce n’est pas sans attendrissement qu’on les revoit aujourd’hui. Le sol y est couvert d’une sorte de poussière humaine que les urnes ont répandue en se brisant. Cependant plusieurs de ces niches sont encore intactes ; elles contiennent les cendres de ces pauvres gens qui y reposent depuis dix-huit siècles. L’humilité de leur sépulture les a mieux protégés que le fastueux appareil des tombeaux de marbre des grands seigneurs et que ces menaces hautaines qu’ils adressaient à ceux qui se per-

  1. Ceux qui voudraient avoir une idée de ces columbaria sans faire le voyage de Rome n’auraient qu’à regarder l’intéressant tableau de M. Leroux qui a paru à une de nos expositions de peintures, et qui représente les funérailles d’un esclave romain. Il est maintenant au Luxembourg, mais si mal placé, si mal éclairé, qu’il est très difficile de le découvrir, et qu’après qu’on l’a trouvé, il est presque impossible de le voir.