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L’ESCLAVE À ROME.

lit ces inscriptions et qu’on songe à la situation bizarre qu’elles nous révèlent, on se rappelle la dernière scène du Stichus de Plaute, où le poète a représenté un incident de ces singuliers ménages. Stichus dit en parlant de son camarade Sagarinus : « Nous avons la même amie, nous sommes rivaux ». C’est une rivalité qui ne paraît pas très violente. Ils s’entendent à merveille, ils s’invitent l’un l’autre à dîner, ils dansent et boivent ensemble et partagent de la meilleure grâce les faveurs de la jeune Stéphanium, qui les appelle ses chers amis et les comble de joie en leur disant : « Je vous aime tous les deux ». Stichus, qui a de l’esprit, trouve une raison sans réplique pour justifier ce partage. « Je suis toi, dit-il à Sagarinus, et tu es moi. Nous ne sommes qu’une âme en deux corps. Nous aimons la même amie ; quand elle est avec toi, elle est avec moi ; quand elle est avec moi, elle est avec toi ». On voit que Stichus ne laisse pas à son camarade le moindre prétexte d’être jaloux.

D’ordinaire les choses se passaient plus sérieusement. Malgré le silence de la loi, il était naturel que dans une maison bien gouvernée un certain ordre finît par s’établir dans ces unions d’esclaves. Le maître avait tout intérêt à les favoriser. Une fois engagé dans une liaison régulière et durable, devenu père de famille, l’esclave devait être plus moral et plus rangé. Il ne songeait plus à s’enfuir d’une maison qui contenait toutes ses affections ; comme il cherchait à se faire un pécule pour rendre la servitude plus légère à ceux qu’il aimait, il travaillait avec plus de soin et d’ardeur. D’ailleurs l’enfant qui naît de ces mariages est un revenu pour le maître. « C’est l’essaim d’une riche maison », disait Horace, et l’on a tout intérêt à le voir s’augmenter. Caton, cet excellent père de famille qui faisait argent de tout, avait imaginé de vendre à ses esclaves la permission de se marier ; c’était tirer de ce mariage un double profit et leur faire payer le droit de l’enrichir. Varron était plus généreux, il demandait qu’on permît à certains ouvriers de la ferme et surtout aux bergers de prendre une compagne. Seulement ils devaient la choisir robuste, capable d’aider son mari dans les travaux les plus pénibles. Il rappelait avec complaisance qu’il en avait vu en Illyrie porter un faix de bois sur leur tête et dans leurs bras un nouveau-né. « Elles faisaient honte à ces accouchées de la ville qui restent étendues sur leurs canapés ». Columelle allait plus loin encore : il voulait qu’on accordât à la femme esclave qui avait trois enfans l’exemption de travailler, et la liberté à celle qui en avait davantage. On ne voit pas que sous l’empire le mariage ait été refusé à aucun esclave ; on l’accordait même à ceux qui étaient placés au dernier degré de l’échelle, aux malheureux vicarii. C’était naturellement dans la maison de leur maître, parmi