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L’ESCLAVE À ROME.

dominus. Ce mot se retrouve sur la tombe d’un vicarius qui nous a été conservée. Au fond pourtant ce n’est qu’un esclave ; il n’a pas plus de droits que ce malheureux qui le craint et qui le flatte. Que son maître l’appelle, il faut qu’il quitte ses grands airs, qu’il devienne humble et caressant, car celui devant lequel il va paraître dispose de lui à son gré, peut le jeter en prison, le battre, le tuer. Quelle situation étrange et compliquée ! Après tout, elle ne doit pas trop nous surprendre. Ne se reproduit-elle pas de quelque façon dans la vie de tout le monde ? Il n’y a guère de fonctions où l’on n’ait à la fois des subordonnés et des supérieurs, où l’on ne soit contraint d’avoir deux façons de parler et deux visages, ici l’attitude de l’obéissance, là le ton du commandement.

Pline a vraiment raison de comparer la maison d’un riche Romain à une sorte de république et de cité. La ressemblance est complète. Cette petite république intérieure se modèle tout à fait sur l’autre. On y forme aussi des associations ou, pour parler comme les Romains, des colléges, dont les membres s’assistent et se soignent les uns les autres quand ils sont malades, et se donnent de bons dîners quand ils sont bien portans. Il y avait dans le palais impérial une association de cuisiniers (collegium cocorum) à laquelle un ancien cuisinier en chef (archimagirus) devenu libre et riche fait des libéralités importantes. On voit même quelquefois tous les esclaves d’une maison se réunir, comme le peuple sur le Forum, délibérer gravement et voter quelque récompense à leur maître, s’ils en sont contens. Ils lui élèvent un monument à frais communs, « pour le remercier, disent-ils, d’avoir exercé le commandement d’une manière modérée ». Il leur arrive dans ces circonstances solennelles d’imiter assez bien le style officiel. Écoutez-les parler. « Les esclaves de la salle à manger, pour reconnaître les services et les bienfaits d’Aurélia Crescentina, lui ont décerné une statue ; ob merita et beneficia sæpe in se collata statuam ponendam tricliniares decreverunt ». Ne croirait-on pas lire quelque sénatus-consulte ? C’est ainsi que ce monde de l’esclavage reproduisait fidèlement les usages de l’autre. On y retrouvait sans doute aussi toutes les passions qui agitent la vie des hommes libres. Je me figure que les haines y devaient être très vives. Que de jalousies contre ceux qui avaient obtenu la faveur du maître et qui en étaient mieux traités ! Que de cabales pour leur nuire et les supplanter ! Les amitiés aussi y étaient très tendres. Nous avons la preuve qu’il s’y formait de bonnes et solides liaisons qui duraient autant que la vie. Voici l’inscription touchante qu’un affranchi avait fait graver sur la tombe d’un de ses amis : « Entre nous deux, mon cher camarade, jamais un dissentiment ne s’éleva, j’en atteste les