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L’ESCLAVE À ROME.

leurs amis leur petite fortune, il poussait même l’humanité jusqu’à les pleurer quand il les avait perdus. Dans le palais d’un riche et d’un sage comme Pline, l’esclave n’est vraiment pas trop malheureux. C’est chez les petites gens que sa condition est le plus rude. Comme il partage la mauvaise fortune de la maison, naturellement il est pauvre chez les pauvres. Or il peut lui arriver de tomber aux mains d’un maître très misérable. Tout le monde en ce temps avait des esclaves ; on en trouve jusque chez les ouvriers et les soldats. Même ce paysan du Moretum qui n’a pour tout bien qu’un petit jardin, et qui se lève de si bonne heure pour préparer son plat d’ail, de fromage et de sel, n’est pas seul dans sa cabane ; il a pour servante une négresse que le poète nous dépeint avec une vérité frappante. « Ses cheveux sont crépus, sa lèvre épaisse, sa peau noire ; elle a la poitrine large, les seins tombans, le ventre plat, les jambes grêles, et la nature l’a pourvue d’un pied qui s’étend à l’aise (spatiosa prodiga planta). » Dans ces pauvres maisons, les profits étaient rares et la vie pénible. La seule compensation que l’esclave trouvât à ses misères, c’est qu’il vivait plus près du maître, qu’il en était plus familièrement traité, qu’à force de partager son mauvais sort et de l’aider dans ses souffrances, il était regardé par lui moins comme un serviteur que comme un parent. Il faut du reste remarquer qu’à Rome, comme aujourd’hui dans l’Orient, il a toujours fait partie de la famille. Chez nous, le domestique et le maître, libres tous deux, unis par un contrat temporaire et à des conditions débattues, vivent à l’écart l’un de l’autre, quoique sous le même toit. Ce sont deux individualités jalouses qui s’observent, très décidées à maintenir leurs droits réciproques. À Rome, l’esclave n’avait aucun droit. Ce n’était pas un citoyen, c’était à peine un homme. Sa dignité ne l’empêchait pas de se livrer tout entier à celui auquel il appartenait et de se confondre avec lui. Il y avait donc plus d’intimité et moins de réserve dans leurs relations. Il nous reste un grand nombre de tombes élevées par des maîtres à leurs serviteurs. Elles contiennent souvent l’expression des sentimens les plus tendres ; on n’y rend pas seulement hommage à leurs bons services, on les remercie de leur affection (quod eum pleno affectu dilexerit). On rappelle qu’en revanche ils ont été traités avec douceur, comme des fils de la maison (loco filii habitus), et on leur fait même dire ces mots signicatifs : servitude, tu n’as jamais été trop lourde pour moi ! Nous voyons dans Fabretti qu’une mère qui avait perdu un jeune fils et un verna du même âge les avait fait enterrer l’un près de l’autre. Les sépultures sont voisines et semblables, les inscriptions contiennent à peu près les mêmes termes. La mère n’a mis aucune différence entre le tombeau de son esclave et celui de son enfant.