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envier le sort de son confrère de la campagne. Horace en avait un à Rome, fort inconstant de son naturel, qui demanda comme une faveur à son maître d’être envoyé dans son domaine de la Sabine. Il est vrai qu’il ne tarda point à s’en repentir. D’ordinaire on ne reléguait l’esclave aux champs que pour le punir, quand on était mécontent de lui. On ne peut douter qu’à la ville il ne fût mieux traité et plus heureux. Placé plus près du maître, il pouvait souffrir davantage de ses caprices, mais aussi il en profitait. C’est lui qui avait le plus de chance d’arriver à la liberté et à la fortune. Il y en avait même dont la situation était brillante et enviée : c’étaient les esclaves impériaux. Il suffisait d’appartenir à la maison de césar pour être un personnage, et les grands seigneurs qui s’estimaient heureux d’être connus du portier de Séjan achetaient par des présens et des bassesses les bonnes grâces des intendans de Tibère. Avant même d’être affranchis, ces esclaves remplissaient quelquefois de véritables fonctions publiques. L’histoire parle d’un dispensator d’Antonin qui était chargé de faire venir à Rome le blé d’Ostie et de Pouzzoles. Ils avaient tous du reste le sentiment de leur importance. Ils étaient fiers, insolens, et pensaient qu’ils devaient faire respecter la dignité de l’empereur en leur personne. Après ceux-ci, je placerais volontiers les esclaves des villes, des temples, des corporations civiles ou religieuses. Lorsque le maître est collectif, il est toujours moins rigoureux, ou plutôt, quand l’autorité est ainsi partagée et que personne n’en prend pour soi le fardeau, non-seulement le serviteur n’est pas commandé, mais en réalité c’est lui qui commande. Aussi les esclaves de cette catégorie paraissent-ils en général riches et contens de leur sort. On en voit qui font des libéralités importantes à ces associations même qui les ont achetés, se donnant le plaisir piquant d’être les bienfaiteurs de leurs maîtres. Ceux qui appartiennent à quelque grande maison ne sont pas non plus trop à plaindre. S’ils arrivent à des fonctions élevées dans la domesticité intérieure, ils peuvent faire de bons profits. Quelquefois l’intendant d’un homme riche trouvait le métier si bon qu’il aimait mieux rester esclave que d’y renoncer. Ce qui pouvait leur arriver de plus heureux, c’était d’échoir à un maître qui se piquait d’être humain et éclairé, qui cultivait les lettres et pratiquait les leçons des philosophes. Pline le Jeune témoignait aux siens les plus grands égards. Non seulement il ne souffrait pas qu’on leur mît les fers aux pieds quand ils cultivaient ses domaines, mais il défendait qu’on les entassât dans des cellules étroites ou dans des prisons obscures. Ils avaient à sa maison de Laurente des logemens si commodes qu’ils pouvaient y recevoir des hôtes. Il s’occupait d’eux dès qu’ils étaient malades, il leur permettait de faire leur testament et de laisser à