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L’ESCLAVE À ROME.

sirs communs, les rapprochaient. Ils se trouvaient associés dans des travaux pénibles, ils se voyaient familièrement sur les places publiques et au cabaret. N’avaient-ils pas d’ailleurs une sorte de communauté d’origine ? L’esclavage était la source de presque toute la plèbe romaine. Elle ne l’ignorait pas, et les grands seigneurs avaient soin de l’en faire souvenir. N’est-il pas naturel que ces fils d’affranchis se soient toujours montrés disposés à défendre ceux qui étaient ce qu’avaient été leurs pères ? Lorsque sous Néron, après la mort de ce Pédanius Secundus dont j’ai parlé, le sénat eut condamné à périr les quatre cents esclaves qui avaient passé la nuit sous le même toit que lui, le peuple fut ému de pitié ; il s’arma de pierres et de torches pour empêcher l’exécution. Il fallut prendre des mesures sévères et border de troupes tout le chemin par où ces malheureux furent conduits à la mort. C’est sous cette double pression que le sort des classes serviles s’adoucit dans l’empire. Sénèque dit formellement que les maîtres cruels sont montrés au doigt dans toute la ville. L’opinion publique s’était donc prononcée ; elle faisait à tous un devoir de la douceur et de l’humanité. Du temps d’Auguste, un très méchant homme, Hostius Quadra, fut tué par ses esclaves. L’empereur, qui cependant affectait d’être un rigide observateur des lois, n’osa pas blesser le sentiment général ; il feignit d’ignorer le crime pour n’être pas forcé de le punir.

Le sort de tous les esclaves n’était pourtant pas le même, et il y a des distinctions à faire entre eux. Ils étaient en général moins bien traités aux champs qu’à la ville. Les agronomes, quand ils nous décrivent le matériel de la ferme et les instrumens de l’exploitation, rangent sans façon l’esclave dans la même catégorie que les bœufs. C’est qu’en réalité le maître ne le distingue pas beaucoup du bétail. Le soir, on l’enferme dans des espèces d’écuries ou de prisons souterraines (ergastula) percées de fenêtres étroites et assez élevées au-dessus du sol pour qu’il ne puisse pas les atteindre avec la main. Le jour, s’il doit travailler seul, comme on craint que le grand air et l’espace libre ne lui donnent l’idée de s’enfuir, on lui met les fers aux pieds. Voilà certes un régime rigoureux ; mais l’esclave paraît le supporter sans trop de peine. Quand arrive un de ces jours de fêtes qui suspendent le travail, il le célèbre avec une joie bruyante. On n’aurait jamais dit, à le voir s’amuser de si bon cœur après la moisson ou la vendange, rire et chanter aux jeux des carrefours (compitalia), ou bien sauter gaîment le feu de paille des Palilies, qu’il fût tenu si sévèrement pendant tout le reste de l’année. Ce qui prouve qu’à tout prendre on ne le trouvait pas si malheureux, c’est que l’esclave de la ville se prenait quelquefois à