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a presque pas de pièce où elle ne les montre aux prises entre eux ou en lutte avec leurs maîtres. Aussi tous ceux qui se sont occupés de l’esclavage à Rome ont-ils fait des emprunts très nombreux aux auteurs comiques. Ils n’ont pas eu de peine à tirer de leurs ouvrages des tableaux très animés de la vie servile ; mais ces tableaux sont-ils aussi vrais qu’agréables ? On en peut douter. Je ne crois guère, quoiqu’elle en affiche la prétention, que la comédie soit jamais l’image exacte de la société. Les exemples que nous avons sous les yeux nous font voir qu’elle peint plus volontiers l’exception que la règle, et qu’elle l’exagère encore par le besoin d’amuser. À ce motif général de nous défier des peintures du théâtre comique, il faut en joindre un autre qui est particulier à la comédie romaine. On sait que Plaute et Térence imitent les poètes grecs, et qu’ils se contentent souvent de les traduire. Il est difficile de reconnaître si les scènes qu’ils nous présentent sont empruntées à leurs modèles ou tracées d’original, et l’on court le risque avec eux de confondre deux civilisations distinctes, d’appliquer à Rome ce qui ne convient qu’à la Grèce. Quelque agrément qu’on éprouve à se servir de leurs ouvrages, il ne faut donc le faire qu’avec les plus grandes précautions, et le plus souvent il est sage de s’en abstenir. C’est un grand sacrifice qu’on s’impose, car, si l’on y renonce, on est réduit à recueillir les renseignemens épars et rares que contiennent les écrivains des diverses époques. Encore faut-il avoir soin de choisir. Tous les témoignages n’ont pas la même valeur ; ceux des moralistes, par exemple, doivent être suspects. Ils sont généralement en guerre avec la société, et font profession de voir le monde en laid. Je me fie davantage aux écrivains moins relevés, qui ne prêchent pas de doctrine, qui disent ce qu’ils voient et prennent l’homme comme il est, aux savans, aux économistes, aux agronomes. Les inscriptions surtout méritent toute confiance. Elles sont d’ordinaire courtes et sèches, elles éveillent la curiosité sans la contenter ; mais les faits qu’elles nous apprennent sont certains, ils ont l’avantage de s’offrir au hasard, de n’avoir pas été triés et choisis pour la défense d’une thèse. C’est à nous de chercher parmi ces milliers de tombes où les esclaves nous racontent leur vie en deux ou trois mots ce qui se présente le plus souvent, ce qui peut être considéré comme la règle et la loi, et de refaire ainsi le tableau de leur destinée avec les documens qu’ils nous ont laissés eux-mêmes.

Essayons donc, avec ces secours, de pénétrer dans l’existence de l’esclave. Comme nous ne pouvons pas embrasser toute l’histoire romaine à la fois, plaçons-nous dans cette pleine lumière du siècle d’Auguste, pendant l’époque qui s’étend de Cicéron à Sénèque, au