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président est le mieux fait pour résister aux entraînemens extrêmes, pour rester une sorte de médiateur relevant par son propre prestige Tautorité qu’il reçoit. C’est un grand Américain sorti des entrailles de la société américaine, et le mieux placé, s’il est à la hauteur de sa position, pour achever par la politique la pacification dont il a été l’instrument heureux par la guerre.

Le général Grant arrive au pouvoir dans la force de l’âge. Il a quarante-six ans à peine. Il est né en 1822 dans un petit village de l’Ohio, à Point-Pleasant. Il ne faudrait pas trop s’arrêter à ces histoires qui font de lui dans sa jeunesse un tanneur ou un bûcheron comme Lincoln. Il y a un peu de vanité démocratique dans ces légendes qu’on se plaît à aller chercher quand les hommes sont arrivés. Le fait est que le général Ulysse Grant est né sans doute d’un père faisant le commerce des cuirs, et que plus tard il a été lui-même, pendant quelques années, fermier aux environs de Saint-Louis, mais qu’il a été premièrement élevé à l’école militaire de West-Point, qu’il a fait la guerre du Mexique avec le général Taylor, avec le général Scott en 1846, qu’il servait encore comme capitaine dans la Californie en 1854, et que, si la guerre civile de 1861 est venue depuis le tirer de sa ferme de Saint-Louis, elle ne trouvait pas du moins en lui un novice. Il reprit son métier en homme qui le connaissait, comme colonel de volontaires dans l’Illinois, et c’est alors qu’il commençait à se signaler par ses premières opérations dans le Kentucky et le Tennessee, surtout par la prise des forts Henry et Donelson. Modeste, résolu et opiniâtre, il grandissait vite dans cette campagne qui dévorait tant d’hommes, et il révélait bientôt les talens d’un général de premier ordre à l’attaque de Wickburg, la grande place des confédérés dans l’ouest. Dès ce moment, il était désigné au président Lincoln comme un des chefs les plus capables de conduire la guerre dans la Virginie, et c’est alors que, concentrant tous ses efforts contre Richmond, le cœur de la confédération, il engageait avec le général Lee ce duel où les deux adversaires étaient faits pour se mesurer ensemble.

Un des mérites de Grant après une victoire qui le rendait populaire et un des signes caractéristiques de cette puissante démocratie américaine, c’est la facilité avec laquelle le chef qui commandait à près d’un million d’hommes s’employait lui-même à dissoudre cette armée qui était sa force. Il restait commandant en chef de l’armée, mais sans rechercher un rôle dans les affaires publiques, affectant au contraire de se tenir en dehors de la politique, aussi soigneux de maintenir son indépendance que de remplir son devoir. C’est le secret de son attitude auprès du président Johnson, aux ordres duquel il obéissait, mais en résistant à ses excentricités, en demeurant le simple et fidèle exécuteur des lois dont le congrès était à ses yeux le suprême organe. Grant n’est pas un orateur, il ne fera pas de discours ; il a montré cependant, même en po-