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pirable. La nicotine n’a pas comme l’atropine la propriété de dilater la pupille, mais elle se distingue par une énergie extraordinaire. A haute dose, elle foudroie presque instantanément. Cet alcaloïde est à peu près nul comme agent thérapeutique. Quant au tabac, qu’en dire qui n’ait été cent fois affirmé, puis contredit tour à tour? La manipulation des feuilles de cette solanée nauséabonde affecte parfois assez gravement la santé des ouvriers qui débutent dans les manufactures. On sait d’autre part que le teint des ouvriers s’y décolore, et demeure grisâtre ou terreux par suite d’une affection cutanée caractéristique. Il parait constaté aussi que l’usage immodéré du tabac peut occasionner des angines, peut-être même des maladies de la moelle épinière et des affections cérébrales suivies de cécité ou d’altération des facultés mentales, tout au moins de la perte de la mémoire. Je sais bien qu’en regard de ces actes d’accusation on pourrait placer de longs plaidoyers passionnés. Toutefois il est incontestable que le tabac détermine assez souvent chez les fumeurs de profession tantôt des inflammations chroniques de l’arrière-gorge et des voies respiratoires, tantôt des inappétences que peuvent vaincre seuls des mets fortement épicés. Quant à l’action fâcheuse qui intéresse particulièrement le jeu des facultés cérébrales et qu’on a maintes fois signalée, est-il étonnant qu’elle soit produite à la longue par une substance fortement toxique et stupéfiante, qui lentement, mais progressivement, paralyse les tissus, bien qu’elle paraisse les stimuler d’une manière passagère? Chez bon nombre de grands fumeurs, on a constaté une tendance habituelle à l’apathie, à l’oisiveté, parfois à un égoïsme dont les tristes progrès se mesurent à l’abus croissant du tabac.

Il est d’ailleurs une chose qu’on ne peut guère lui pardonner, c’est la tyrannie des besoins factices qu’il nous crée. On a vu cent fois des fumeurs ou des priseurs tomber sérieusement malades et même mourir pour n’avoir pu continuer leurs impérieuses habitudes. Dans les armées de terre et de mer, il est aussi important de veiller aux approvisionnemens de tabac qu’à ceux de l’alimentation elle-même. La mastication du tabac en particulier devient chez les marins une nécessité de premier ordre. Il en est qui ne peuvent plus ni digérer, ni dormir, ni même travailler courageusement quand ils sont privés de cet excitant; aussi quels expédiens n’inventent-ils pas pour y suppléer quand il leur manque! « Je n’oublierai jamais, raconte le docteur Forget, ce matelot de l’Antigone qui vint un jour me consulter pour un mal de gorge. Voyant à la saillie de sa joue qu’il mâchait quelque chose : Commencez par jeter cela, lui dis-je, le tabac ne vaut rien pour le mal dont vous souffrez. — Du tabac, major, me répondit le pauvre diable, les yeux pleins de grosses