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sente par l’histoire évangélique, et en le rendant il a rendu du même coup toute cette nombreuse fraction de l’humanité dont saint Pierre est le représentant accompli par ses qualités et ses défauts, l’homme du peuple. Dans cet humble visage, dans cette attitude soumise se lisent toutes ces vertus de nature, voisines de l’instinct, qui sont celles du peuple : l’obéissance spontanée, subite, volontaire, devant l’homme qui le frappe d’admiration, la confiance sans réserve qui le rend digne de représenter la foi parfaite, le dévoûment absolu et sans bornes, le trouble facile d’une chair sujette à l’excès à toutes les terreurs, en un mot toutes ces grandeurs et ces défaillances de l’âme des entrailles, par laquelle le peuple aime et hait sans réserve, se livre sans égoïsme, se trouble sans sagesse, et s’abandonne tout entier jusqu’au plus petit atome de lui-même à l’émotion qui le maîtrise. Si Rubens avait pensé à donner pour pendant à son saint Pierre de la Pêche miraculeuse un saint Pierre de la scène du reniement parmi les servantes et les soldats, à cette heure, si douloureusement regrettée plus tard, où, ressaisi des inexplicables terreurs de la nature populaire, il renia son maître par trois fois, nous aurions eu le revers de ce type dont le tableau de Malines nous offre seulement l’endroit.

Bien des choses sont admirables dans l’œuvre de Rubens; mais ce qu’elle a peut-être de plus extraordinaire, c’est son extrême variété. Quel que soit le sujet dont elle s’empare, son intelligence découvre comme d’un bond l’âme secrète de ce sujet, et la traîne pour ainsi dire devant l’admiration avec une fougue d’imagination sans égale. Un des plus beaux exemples que l’on puisse donner de cette intelligence prompte et fougueuse est la Dernière Communion de saint François d’Assise, du musée d’Anvers. Ce tableau est un drame digne de Shakspeare, et pour la couleur, et pour l’émotion dramatique, et, chose curieuse, pour la pénétration historique. C’est la scène suprême de Sainte-Marie-des-Anges d’Assise, telle que l’imagination peut se la représenter en ayant soin seulement d’échanger contre des types italiens les types flamands de Rubens. Le grand poverello di Cristo, épuisé de jeûnes, d’abstinences, de prières, des longs voyages accomplis pieds nus, du douloureux honneur des stigmates divins, touche à son heure dernière, et s’est fait porter devant la table sainte, nu comme il a vécu. Le corps et l’attitude du saint sont une réminiscence évidente du Saint Jérôme du Dominiquin, mais non pas son expression de ferveur austère et douce, si bien d’accord avec son caractère. Tous les fratelli bien-aimés sont là, — tous ceux qui à son exemple se sont déchaussés et ont lié l’humble capuchon entourent l’homme qu’ils ont suivi comme le père et le maître, pour employer les expressions de Dante