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tel qu’une partie des populations cisleithanes aspire à s’annexer à la Hongrie.

En fait de politique étrangère, Deák est partisan décidé de la paix. Il sait que c’est par la paix seulement que son pays acquerra plus de richesse, de stabilité, d’influence, et il n’ignore aucun des dangers auxquels la guerre peut l’exposer. Il est bon qu’on le sache à Vienne et ailleurs, jamais la Hongrie ne donnera ses armées et ses trésors pour soutenir les projets que la dynastie pourrait nourrir de reconquérir sa position en Allemagne. Le discours si habile que M. de Beust a prononcé récemment à la fête des tireurs, à Vienne, a semblé déjà trop allemand à Pesth, et le journal du parti Deák, le Pesti Napló, s’est fait l’organe des susceptibilités hongroises et a fait entendre des menaces de séparation. Le lien qui retient le royaume à l’empire est si fragile, qu’il ne faut pas l’exposer à une épreuve où les intérêts évidens des deux moitiés de l’état les entraîneraient en des directions opposées.

Au sein de la diète actuelle, il y a trois partis bien tranchés. C’est d’abord le parti Deák, qui veut réaliser tous les progrès, mais en respectant les formes du dualisme établi par l’accord de 1867, c’est-à-dire le système des délégations; c’est ensuite la gauche modérée, dirigée par Ghyczy et Tisza, et qu’on nomme le parti des tigres parce qu’il se réunit dans un hôtel qui porte cette enseigne. Son but est l’établissement de l’union personnelle, mais par les voies légales et sans révolution. Les tigres y malgré leur nom effrayant, révèrent le sage Deák, et souvent écoutent sa voix. Enfin il y a la gauche extrême, que guident Bözsörmenyi et Madarász. Ceux-ci défendent les idées de Kossuth. Ils veulent la séparation complète d’avec l’empire, et la république fédérative du Danube. L’Autriche se désagrégera inévitablement, disent-ils. Les Allemands autrichiens entreront dans la grande unité germanique. Si nous ne coupons pas à temps le lien qui nous rattache à eux, nous n’échapperons pas à la main de la grande Allemagne, tandis qu’unis aux Slaves et aux Roumains nous sortirons de sa sphère d’attraction, et notre indépendance n’aura plus rien à craindre.

Ce qui fait la force de. ces partis, c’est leur discipline. Chacun d’eux a son local, son club, où se réunissent ses adhérens pour discuter les questions qui se présentent, pour prendre des résolutions, pour se distribuer les rôles à la veille des grandes batailles parlementaires. De cette façon, les sujets sont examinés au point de vue du parti et de l’intérêt général. Les diverses nuances se font des concessions, et on arrive à une entente indispensable au succès. La pratique régulière du régime constitutionnel exige des partis bien organisés, fermes dans leurs vues, soumis à une certaine discipline.