Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 78.djvu/391

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de tout?... Mais que disais-je donc?... Ah! oui, l’amtshauptmann sera expédié à Bayonne. Quant à mamzelle Westphalen, le moins qui l’attend est d’être pendue, et toi, mon garçon...

— Moi?...

— Tu en seras quitte pour être fouetté en place publique. Tu apprendras ce qu’il en coûte de se mêler aux attroupemens du populaire... à moins pourtant que je ne m’en mêle... Dans ce cas, et si tu te conformais exactement à mes instructions;... mais d’abord es-tu capable de te taire, et peux-tu transmettre un message à la mamzelle sans que l’amtshauptmann vienne à le savoir?...

— Dame, on verra, répondit Fritz, à qui la menace d’une flagellation publique ne paraissait pas sourire beaucoup.

Le rathsherr alors, se penchant à l’oreille du jeune messager, lui donna les renseignemens les plus complets sur la conduite qu’il avait à tenir, l’air qu’il faudrait prendre, les mots de passe dont il faudrait se servir, le tout pour mettre le château à l’abri d’une surprise, si les Français tentaient de s’en emparer. — Du reste, ajouta-t-il, tu ne m’y précéderas que d’une heure ou deux. D’ici là, qu’on tienne bon ! Les secours ne se feront pas attendre.

Fritz partit, les mains dans les poches, sifflant d’un air dégagé, fidèle en un mot à la lettre et à l’esprit de ses instructions. Il prit de longs détours, rentra furtivement par les jardins du schloss, se faufila jusque dans la cuisine, et vint dire à mamzelle que les Français allaient la venir prendre pour la conduire à la potence, tandis qu’on enverrait leur maître au fin fond des Pyrénées. Du reste, elle n’avait qu’à tenir bon, les secours ne se feraient pas attendre

Nous verrons plus tard ce qu’il advint de cette ambassade. Suivons en attendant l’oncle Herse, qui, rentrant chez lui pour prendre un manteau gris à cause de la pluie, et voyant accroché au mur son bel habit officiel, bleu barbeau à collet rouge et galons d’or, jugea la circonstance assez grave pour s’en revêtir. Le fait est que cet uniforme rehaussait le mérite de sa belle taille, et lui donnait un faux air de général au service de France. Il le mit donc avec l’arrière-pensée que ce travestissement lui permettrait de se rendre incognito sur le théâtre des hostilités. Pour plus de sûreté, il endossa par dessus une cape couleur de muraille dont il s’emmitoufla jusqu’aux sourcils, et qu’il ramena sur sa tête, coiffée d’un grand chapeau à trois cornes, — chapeau mémorable qui a servi plus tard à nos jeux, et que j’ai vu flottant, à l’état de nacelle, sur l’étang du vieux Nahmaker. Ce jour-là, il était censé déguiser la mâle figure du rathsherr, qui sortit, bien convaincu de son invisibilité; mais à peine avait-il fait quelques pas sur la place du marché, que ce même Nahmaker dont les Français emmenaient l’attelage, et qui se déso-