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sang-froid de commande l’entretien interrompu : — Vous avez soulevé, dit-il à l’amtshauptmann, une question que nous discuterons une autre fois. Il s’agit maintenant d’autre chose. Pourquoi cet horloger suisse couchait-il, la nuit dernière, au château?

— Il n’y couchait point, repartit sèchement notre magistrat.

— Pardonnez-moi! nous l’avons trouvé dans la chambre et dans le lit de votre femme de charge.

— Cela ne peut être, s’écria l’amtshauptmann, prêt à proclamer devant l’univers entier l’innocence de la Westphalen. Cette digne personne est à mon service depuis vingt ans, et on ne me fera pas croire...

— Corlin, donnez-moi deux bons coups de poing derrière le cou, disait cependant la mamzelle, qui, de la cuisine où elle s’était réfugiée, entendait les éclats de ce dialogue.

Le colonel, pour en finir, poussa brusquement la porte de la chambre par lui désignée, et l’horloger apparut aux yeux de l’amtshauptmann. Pressé de questions par l’adjudant, il venait, selon sa coutume, de lui débiter toute sorte de mensonges plus palpables les uns que les autres. — Voilà qui est inexplicable! s’écria l’amtshauptmann,

— Et ce qui pourtant veut être expliqué, répliqua le colonel. — Puis, après quelques mots échangés à voix basse avec l’adjudant, il demanda les clés de la prison d’état.

— Je ne puis les donner en cette occasion, répondit l’amtshauptmann. Le prévenu n’y a point droit. Simple citoyen, il doit être mis dans la geôle communale.

— Comme vous voudrez, Il y sera mieux préservé de toute connivence coupable. — Au surplus, continua le colonel quand Droz fut parti sous l’escorte de deux fusiliers, je devrais, monsieur l’amtshauptmann, vous faire arrêter : votre âge et les rudes paroles que vous vous êtes permises seront pour cette fois votre sauvegarde. Je ne veux pas avoir l’air de venger une injure personnelle. Il restera pourtant bien entendu que, si la justice militaire avait besoin de votre témoignage ou de celui de votre femme de charge, vous vous présenteriez devant qui de droit.

Le premier mouvement de l’amtshauptmann fut de procéder à une enquête immédiate; mais, sur le chemin des cuisines, le souvenir des paroles prononcées par le colonel l’arrêta court. — N’a-t-il pas prononcé le mot de connivence? se demandait-il. Autant que n’importe quel colonel français, un magistrat allemand doit veiller sur son honneur et le maintenir intact de tout soupçon.

La Westphalen échappa ainsi à l’interrogatoire sur faits et articles dont elle était menacée. Fritz Sahlmann, sans qu’il eut été