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voulut pas croire. D’un pas solennel, et sans prêter attention aux grosses facéties militaires des deux plantons, elle alla prendre dans un tiroir le bonnet qu’elle était venue chercher, puis elle se retira majestueusement, blessée trop à fond pour pouvoir exprimer ce qu’elle sentait. Sur le palier, elle rencontra le colonel von Toll en grand uniforme. Il la salua fort poliment et lui demanda de l’introduire auprès de l’amtshauptmann. A sept heures du matin, cette requête avait droit de la surprendre. — C’est bien assez, colonel, répondit-elle, que j’aie vu ma chambre à coucher dans l’état où vos deux goujats l’ont mise; ne me demandez pas de bouleverser l’ordre naturel des choses. Un gentilhomme est un gentilhomme, et a bien le droit de dormir son plein sommeil. Ni empereur, ni monarque, non pas même notre grand-duc Friedrich-Franz, ne me forceraient à contrevenir aux usages de cette respectable maison.

— Il faudra donc que je vous épargne cette peine, interrompit le colonel, qui fort tranquillement s’en alla du même pas heurter chez l’amtshauptmann.

— Il entre;... mais c’est qu’il entre ! s’écria la mamzelle consternée.

Il entrait en effet, et un bruit de voix assez élevé annonça presque aussitôt l’ouverture de la conférence, qui bientôt alla s’aigrissant de part et d’autre. Le colonel réclamait des explications complètes sur tout ce qui lui semblait mystérieux dans les événemens de la nuit passée. l’amtshauptmann, ne les connaissant qu’à moitié, ne pouvait répondre à toutes les questions, et s’indignait pourtant qu’on osât suspecter sa bonne foi. — L’affaire de ce Droz n’était pas claire. Il me semble que vous usez de défaites, dit enfin le colonel.

À ce mot, le vieillard se redressa de toute sa hauteur, et sous ses sourcils grisonnans éclata un regard chargé d’une colère méprisante. — En vérité? dit-il, perdant toute mesure, vous ne sauriez donc croire qu’un Français ait revêtu pour son plaisir l’uniforme de son pays, lorsque tant d’Allemands le portent, eux aussi, de leur plein gré...

Le colonel westphalien rougit à ce mot, comme s’il eût senti un soufflet sur sa joue, puis il devint excessivement pâle, recula de deux pas, et sa main se crispa sur le fourreau de son épée; mais, sans rien ajouter, et maîtrisant une inspiration mauvaise, il sortit à grands pas et franchit le vestibule. L’alerte Hanchen, sans cesse au guet, déclara toujours depuis qu’en ce moment ce beau garçon lui avait littéralement fait peur. Or un pareil propos sur les lèvres roses de Hanchen avait une valeur toute spéciale. Généralement un beau garçon l’effrayait peu.

Le colonel cependant revint sur ses pas, et, reprenant avec un