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attacha sa carriole, il rencontra un attelage de quatre chevaux gris, lancés à toute vitesse, et qui l’éclaboussèrent de la tête aux pieds. Après celui-là venait un autre couleur isabelle, et après ce second, un troisième du plus beau noir. Les conducteurs fouettaient leurs bêtes à tour de bras avec des imprécations de l’autre monde : — Bandits !... voleurs !... Il ne manquait plus que cela !... Nous forcer à venir par un temps pareil!...

Dans le jardin du schloss, grand désordre et grand tumulte. Les chariots mis en réquisition pour le transport de l’artillerie française se démenaient en tous sens, et qui pouvait s’échappait. — Que venez-vous faire ici, meunier? lui cria un jeune homme, voisin du moulin de Gielow. Profitez donc de ce qu’il pleut à verse. Les Français s’abritent, et nous nous sauvons. Une bonne idée que nous devons au rathsherr !

Mais le meunier n’en continua pas moins à monter vers le château.


V.

Rentrons-y, nous aussi, pour reprendre moyennant quelque retour en arrière le fil des événemens. Après la nuit agitée dont nous avons relaté les principaux incidens, mamzelle Westphalen ne fut pas trop surprise de trouver un peu chiffonnées les ruches de son bonnet. Aussi, dès que la décence le permit, se dirigea-t-elle vers sa chambre pour prendre une coiffure plus présentable. Elle frappa doucement à la porte, voulant s’assurer avant tout que herr Droï pouvait sans inconvénient la laisser pénétrer auprès de lui. — Entrez! répondit une voix inconnue, et mamzelle poussa l’huis d’une main déjà tremblante. Le spectacle qui s’offrit à ses yeux justifia ce pressentiment d’horreur. Sa chambre, sa propre chambre, ce sanctuaire qu’elle s’était complu à orner de ses mains virginales, et qu’elle entretenait à force de soins dans toute son intégrité originelle, sa chambre était envahie et saccagée. Une acre fumée bleuâtre en souillait l’atmosphère. Le lit, — ce lit que son parrain l’ébéniste avait amoureusement édifié, — son lit était sens dessus dessous. Les blancs oreillers gisaient sur le parquet poudreux. Un des deux soldats préposés à la garde de herr Droï, couché en travers de la porte, s’était roulé dans les rideaux arrachés, et, le brûle-gueule aux dents, reposait sa tête immonde sur un magnifique édredon rayé de blanc et de rouge. L’autre s’étalait dans un ample fauteuil, et, pour se tenir les pieds chauds, se servait, en guise de chancelière, d’une jupe ouatée, présent de la frau amtshauptmann. Herr Droï, coiffé de son bonnet à poil, mais triste et déconfit, balbutiait de vagues excuses, auxquelles la mamzelle ne