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ce propos demandait à être expliqué : — Une fois au moulin, poursuivit-il, ces braves garçons auraient bien pu s’amouracher de notre petite Stiena. La pourchassant dans l’étable, ils n’eussent pas manqué d’y trouver trop de bétail, et pour nous désencombrer je les vois d’ici emmenant nos deux belles vaches laitières,... histoire, vous savez, de nous rendre service. Les deux vaches parties, plus de bouillie le matin, et la bouillie serait remplacée par la soupe aux choux, que je n’aime point... Après cela, reprit-il, comme par réflexion, peut-être ai-je fait erreur. Ces deux hommes ont l’air d’appartenir à la gendarmerie. Si cela est, leur visite au moulin avait peut-être un autre but. Ils cherchaient sans doute la piste du chasseur d’hier, et avaient mandat de vous arrêter en son lieu et place... Je commence à croire que Fieka ne se trompait guère, et qu’il serait bon de remettre la main sur ce Français... Il était là; nous pouvons, grâce aux brins de paille tombés de ses vêtemens, nous assurer si une fois relevé il ne s’est pas dirigé vers Gulzow. Je vais donc vous ramener le cheval, et pendant que vous irez au bailliage où vous déposerez le sac et la bête, je vais, moi, courir après l’homme, pour que rien ne manque à la restitution.

En vertu de cette ingénieuse combinaison, le meunier arriva seul à Stemhagen par une pluie battante. Le premier visage de connaissance qu’il y rencontra fut celui du boulanger Witte, qui parut fort étonné de le voir se hasarder avec un cheval d’origine suspecte dans une ville remplie de troupes françaises. — Dépêchez-vous! lui dit-il après explication, dépêchez-vous de le cacher dans ma grange, et permettez-moi de vous dire que vous vous êtes mis dans une fameuse nasse. Tout est bouleversé au château. L’amtshauptmann a fait demander pour huit heures du matin (circonstance énorme) les rôties de son déjeuner. Fritz Sahlmann assure que mamzelle Westphalen a disparu, et l’horloger suisse a été conduit en prison. Ceci, je l’ai vu de mes yeux. On ne parle plus que de cours martiales et de fusiller le pauvre monde.

Je vous laisse à penser si le vieux meunier tremblait dans sa peau. — Il faut pourtant que j’aille au schloss rapporter cet argent, dit-il enfin; mais je ferai le tour de la ville pour tâcher d’y arriver incognito. Vous, gardez ici le cheval, et si vous apprenez qu’il m’est arrivé malheur, allez donner de mes nouvelles aux femmes du moulin. J’y ai laissé un jeune homme auquel vous direz que son oncle le prie de les protéger et de veiller sur les affaires de la maison.

Sur la promesse du boulanger, qui enferma le cheval dans sa grange, Voss continua sa route, se glissant comme un coupable par l’extérieur de la ville, qu’il n’osait traverser. A la porte neuve, où il