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tion, qui pourrait être très rapide? Il n’en coûterait aujourd’hui presque rien, au moyen de la compensation que nous avons indiquée, pour démonétiser ce qui nous reste de pièces de 5 francs; qui sait ce qu’il en coûterait plus tard? Et cependant il faudrait encore arriver à cette démonétisation, car il n’y a pas un gouvernement qui puisse laisser se rétablir la circulation en argent sur le pied d’autrefois ; autant vaudrait qu’il supprimât les chemins de fer pour nous obliger à retourner aux diligences. On dira que nous précipiterons nous-mêmes la baisse de l’argent en démonétisant les 800 millions qui nous restent. — Cela est possible; mais qu’y faire, si la dépréciation est dans la force des choses? Plus nous différerons, et plus elle sera forte. Le mieux est donc de se résigner de bonne grâce, et de faire tout de suite ce que la nécessité pourra bien nous imposer un jour plus douloureusement. Si on objecte l’intérêt des industries qui emploient aujourd’hui l’argent et qui vont se trouver atteintes par la diminution de valeur de ce métal, la perte qu’on subira sur tous les objets d’orfèvrerie qui existent, nous répondrons que c’est la loi du commerce d’être exposé à des variations de prix dans toutes les choses qui le touchent. Parce que l’état s’est servi de l’argent pour en faire de la monnaie, il n’a pas garanti à tout jamais la valeur de ce métal dans les emplois industriels. Quand les chemins de fer ont été créés, les diligences et les anciens modes de transport ont éprouvé aussi un grave préjudice. S’est-on inquiété de leur sort? s’est-on inquiété davantage de ce qu’allait devenir le tissage à la main quand on a inventé le tissage à la mécanique? Et ainsi de toutes les découvertes. Le progrès est un char qui s’avance en écrasant quelques victimes, mais il s’avance pour le bien général de l’humanité, — tant pis pour ceux qui se rencontrent sous les roues. Seulement, quand on a le choix du moment, il faut prendre celui où les victimes seront le moins nombreuses, et c’est ce qui se présente aujourd’hui pour la suppression du double étalon. Le moment est encore favorable, il le sera moins plus tard. — A ceux qui soutiennent le statu quo parce qu’il n’a pas eu d’inconvénient pratique, nous demanderons à notre tour s’ils en verraient à le changer ; on n’en indique pas de bien réels, tandis qu’il pourrait y en avoir de très-sérieux à le garder. Par conséquent la question est jugée. En supprimant le double étalon, nous aurons au moins l’avantage de rentrer dans la vérité du système monétaire, qui veut qu’il n’y ait pas deux mesures à base inégalement variable pour indiquer la valeur des choses.


VICTOR BONNET.