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L ABBE LEROUX AU COMTE DE X...

Il est possible, monsieur le comte, que ces trente mille francs qui veulent arriver là comme un coup de massue dépassent de beaucoup, d’après vos calculs, la valeur réelle de mon petit bien; mais encore une fois je suis malhabile en ces matières, et ma vue est courte pour estimer la valeur vénale des choses qui me tiennent au cœur.

Veuillez remarquer que vous venez m’offrir un marché que je ne souhaitais pas, qui me répugne encore, dont l’idée seule me cause une véritable douleur. Or, dans cette situation, sur quoi voulez-vous que je me base pour estimer le prix des Herbiers, si ce n’est sur la grandeur des regrets que j’éprouve à m’en déposséder?

Vous me faites toucher du doigt l’impatience que vous éprouvez à en devenir acquéreur; c’est me flatter extrêmement, sans pourtant me consoler. Veuillez croire que le premier désir dont vous voulûtes bien honorer mon coin de terre en centupla tout à coup la valeur pour moi.

Quant aux argumens de maître Ledoyen, que je désespère de réfuter en termes convenables, ils me paraissent pécher par la base. L’insignifiance de loyers que depuis douze ou quinze ans j’accepte sans impatience, loin de diminuer la valeur foncière des Herbiers, ne l’augmente-t-elle pas au contraire, et n’est-il pas juste que le capital que vous m’offrez me fasse oublier quinze années de sacrifices?

Maître Ledoyen prétend que vous ne sauriez entrer dans ces considérations; moi, j’affirme que votre position de fortune, monsieur le comte, vous permet d’entrer dans toutes les considérations imaginables. Je ne m’expliquerais pas votre grand désir d’acheter cette propriété, si je ne vous supposais la louable pensée de lui redonner pour l’avenir une valeur considérable que les circonstances probablement ont fait méconnaître jusqu’à présent. Or cette valeur considérable dont la justesse de vos jugemens me prouve clairement l’évidence, serait-il équitable que je n’en profitasse pas? Puis-je oublier que dans le faible arbrisseau que je vous cède il y a un chêne puissant dont vous tirerez un incalculable profit? Enfin puis-je de gaîté de cœur déposséder de cette petite fortune mes héritiers, mes humbles héritiers, ou à défaut d’héritiers les pauvres, qui sont nos enfans à nous, monsieur le comte ? Vous me parlez le cœur sur la main; je veux sur l’heure imiter votre exemple. Les propositions dont vous honorez ma petite propriété me furent faites, il y a peu de temps, par les bons frères des écoles chrétiennes, qui,