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suivait pied à pied les migrations des barbares, et Ottfried Muller celles des Doriens.

Les stations d’un dieu, les sanctuaires oubliés, les débris d’un culte, d’un nom sacré, moins encore, étaient pour l’historien ce que les stations des plantes sont devenues pour le botaniste. Dans le monde physique comme dans le monde civil, le passé s’efforce en vain de se dérober et de s’enfouir loin des yeux de la postérité. Il suffit du plus faible témoin pour le dévoiler à travers ses ombres.

Ainsi d’un côté la famille des historiens, de l’autre celle des naturalistes, ont fait chacune leur œuvre à part, sans se reconnaître ni s’entendre mutuellement, et il se trouve que cette œuvre est la même. Tous ont cheminé longtemps par bandes isolées, à l’écart, indifférens ou hostiles, ou s’ignorant les uns les autres, et voilà qu’ils aboutissent à un foyer commun où ils ont échangé leurs flambeaux. Les naturalistes et les historiens se sont emprunté instinctivement leur esprit; la méthode des uns est devenue la méthode des autres. Osons le dire, cette rencontre est le plus grand événement intellectuel de notre temps.

Un pas reste à faire, lequel? Se reconnaître les uns les autres. Ce que l’histoire civile et l’histoire naturelle ont entrepris isolément, par instinct, il est temps qu’elles l’accomplissent par réflexion, avec la pleine intelligence des lois communes, qui les régissent. Si elles ont fait de si grandes choses en agissant séparément, que ne feront-elles pas, unies et éclairées par la connaissance de leur parenté ! Où n’atteindront pas ces deux esprits quand ils auront la conscience réfléchie, profonde de leur alliance? Quel mystère leur résistera? Quelle porte ne leur cédera pas? Quel abîme ne s’éclairera pas? La comparaison des lois de l’histoire universelle civile et des lois de l’histoire naturelle n’a jamais été faite. Il faut au moins la tenter. Quelque opinion, que l’on, puisse avoir des résultats de cette comparaison, on avouera qu’elle manque encore à la science. Donnons-nous le plaisir de tenter ici ce chemin inconnu.


IX. — UNE PROPHÉTIE DE LA SCIENCE.

Les géologues qui se sont le mieux renfermés dans l’observation laissent échapper des paroles qui sont pour moi un sujet de surprise toujours croissante. Si la poésie osait ouvrir de pareilles perspectives, on l’accuserait de s’être enivrée à la coupe des ménades; mais non, les savans les plus circonspects nous jettent en pâture ces mots étranges : que la création n’est pas finie[1], qu’elle ne s’arrêtera pas à l’homme, qu’elle enfantera de nouvelles flores,

  1. « La création est-elle finie parce que l’homme est arrivé?... L’induction d’une part, et de l’autre un regard jeté sur le passé, pourraient nous faire entrevoir que la création n’est pas finie. » Voyez d’Archiac, Introduction à l’étude de la paléontologie stratigraphique, t. II. p. 467.
    « Alors probablement, au moyen d’un de ces phénomènes biologiques dont Dieu seul a le secret, il arrivera sur la terre une nouvelle faune et une nouvelle flore. » (Alphonse Favre, Recherches géologiques, t. III, p. 531.)