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A peine la diète se fut-elle réunie à Pesth que la question se présenta de savoir sous quelle forme elle allait faire connaître ses griefs et ses réclamations. La gauche, qui reconnaissait pour chef le comte Teleki, se prononçait pour une « résolution. » Elle devait blesser l’empereur et rendre impossible toute négociation ultérieure. Deák proposait de donner à l’exposé de principes que la diète voulait faire la forme d’une adresse. — Le langage, la conduite, pouvaient être fermes, mais pourquoi rendre le conflit inévitable? S’il doit avoir lieu, disait Deák, que la responsabilité en retombe sur la cour, non sur la diète. — Céder sur l’accessoire pour obtenir l’essentiel, telle a toujours été sa maxime.

Tandis que Deák travaillait avec son ami le publiciste Csengery à la rédaction du projet d’adresse qu’il comptait présenter aux chambres, le parti de l’opposition s’efforçait de grossir ses rangs. L’hostilité contre le cabinet autrichien était générale. Presque tous les députés s’étaient prononcés dans les réunions électorales contre la patente de février. A mesure qu’ils arrivaient de leur comitat, la gauche s’emparait d’eux et leur prêchait une ligne de conduite qui répondait parfaitement à la vivacité de leurs sentimens anti-autrichiens. Deák, lui, ne faisait rien pour que son opinion triomphât. Il lui répugne de se servir de son influence personnelle pour obtenir un vote. Il pousse le respect des convictions d’autrui si loin, à un tel excès peut-on dire, qu’il ne cherche pas même à conquérir des partisans ou à faire partager ses idées par l’entraînement de l’éloquence. Il veut que ce soit la seule évidence de la vérité qui subjugue ses contradicteurs. Le jour même où Deák devait donner lecture de son projet d’adresse, une funèbre nouvelle se répandit dans Pesth : Ladislas Teleki, le chef de l’opposition, venait d’être trouvé mort dans sa chambre. Le dernier mot de ce drame n’est pas encore connu. Tiraillé, dit-on, entre certains engagemens pris envers l’empereur et la conduite que lui commandait son patriotisme, il se serait dérobé par un coup de pistolet à une position intolérable. Deák, atterré de l’événement, demanda la parole à l’ouverture de la séance pour prononcer l’éloge de son adversaire politique, mais son émotion fut si vive que les larmes lui enlevèrent la voix. Un frisson parcourut l’assemblée, et la discussion fut ajournée.

C’est le 13 mai suivant que Deák lut cette fameuse adresse qui pour la première fois appela sur son nom l’attention du monde entier. La diète hongroise vit se produire ce jour-là un fait à peu près sans exemple dans les annales parlementaires des autres pays. Quoique ayant perdu son chef, l’opposition avancée avait une majorité de quelques voix. Elle voulait que la chambre adoptât une « résolution. » Tisza et Ghyczy, qui avaient pris la place de Te-