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qui attachait alors l’Irlande à l’Espagne et peut-être à la Syrie?

Telle autre plante se rencontre aux deux extrémités du monde. Sans doute elle a marché d’un hémisphère à l’autre. Évoquons en esprit le continent intermédiaire qui lui a servi de chemin. Par ce frêle lien végétal, l’Afrique se trouvera rattachée et contiguë à l’Inde, le Chili touchera à la Nouvelle-Zélande. Comment les espèces de l’Amérique australe ont-elles passé dans la région arctique? Il faut pour cela que les montagnes de l’isthme de Panama n’aient pas toujours été si abaissées; elles ont dû offrir aux plantes une station plus élevée qu’aujourd’hui pour que la migration n’ait pas été arrêtée. Ainsi, de génération en génération, les fleurs ont traversé les océans sur le dos des Cordillères, qui plus tard se sont affaissées. De cap en cap, de glacier en glacier, ces fleurs portent aujourd’hui témoignage des mondes disparus derrière elles.


VIII. — LE NATURALISTE DE NOS JOURS.

Si jamais les poètes, les historiens se sont épris de chimères, voici une chose qui peut leur servir d’excuse. C’est de voir combien les sciences les plus positives, la géologie, la botanique, excellent à créer des mondes que le talisman des Mille et une nuits n’eût jamais osé évoquer. En déchiffrant les inscriptions végétales, les botanistes géologues se jouent de la réalité actuelle. Le rêve de l’Atlantide de Platon devient une des bases de la science de notre âge positif. Souvent les plus circonspects se livrent aux hypothèses les plus gigantesques. Vous les diriez pris du vertige de l’abîme quand ils évoquent les îles, les archipels, les hémisphères immergés. Dans ces évocations, ils n’ont souvent que l’indice d’un lichen ou d’une algue pour conclure à l’existence d’un monde. Vous hésitez à les suivre dans le gouffre, vous craignez que ces mondes révélés dans l’azur des mers équatoriales ne vous échappent et ne se dissipent comme une bulle de savon.

Rassurez-vous, c’est une main forte qui vous conduit dans ces abîmes. Il s’agit ici de tout autre chose que d’une imagination vaine. A mesure que l’esprit de l’historien est devenu l’esprit du naturaliste, celui-ci a acquis un sens nouveau. Sa force, son énergie, son audace, ont doublé. Quel problème pourrait l’effrayer? Il tient dans sa main le fil avec lequel il se retrouve quand il lui plaît.

Aussi avec quel sang-froid il se livre à l’abîme ! Suivez-le, il se joue avec l’inconnu. Il descend au fond des océans antérieurs peuplés de monstres, comme s’il était enveloppé de la cloche du plongeur, et il voit clair dans ces mondes d’hypothèses mêlées de réel. Il palpe, il sonde le sol des mers qui n’existent plus que dans sa pensée. Il vit à son aise parmi les monstres et les colossales chi-