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en Belgique quelques vues ébauchées. Le moment était venu de les suivre et de les développer.

J’avoue que le premier séjour dans les hautes Alpes me jeta dans une sorte de stupeur; elles m’accablèrent, et qu’il m’a fallu de temps pour me familiariser avec elles! Quand je les touchai pour la première fois à certaines hauteurs, à la Wengern-Alp, au Saint-Gothard, je crus être jeté sur une autre planète. Cet horizon me semblait au-delà des facultés humaines; j’eus besoin de faire effort sur moi pour m’accoutumer à ces sublimités; elles m’écrasaient comme certaines paroles de la Bible, elles me remplissaient d’une horreur sacrée. Voilà ma première impression.

La seconde fut bien différente. Dès que je pus réfléchir, je m’aperçus que ces sommets, ces pics, au milieu desquels j’allais vivre désormais, avaient chacun sa biographie. la description ne suffisait plus : on cherchait les origines, les époques, les âges, la grandeur, la décadence, de ces colosses qui m’avaient d’abord paru immuables. C’est là le point de vue actuel, celui qui me revenait de tous côtés, et hors duquel la plus belle vision est stérile.

Qu’était-ce que cela, si ce n’est une histoire? J’étais environné non pas de blocs inertes qui n’avaient rien à me dire, mais d’un groupe de géans qui avaient chacun ses annales et ses vicissitudes. Ils rentraient dans le domaine des sciences historiques. N’en suivaient-ils pas, eux aussi, les lois? C’est là ce que je me demandai avant toute autre question. Je compris dès lors qu’en m’attachant à la connaissance des révolutions du globe je ne sortais pas du sujet ordinaire de mes travaux, je l’étendais. Une fois cette conviction formée dans mon esprit, je vis se dresser devant moi une foule de problèmes nouveaux.

Si la géologie est avant tout une-histoire, elle doit reproduire les lois les plus générales de l’histoire. Par là, je commençai à entrevoir des points communs entre les révolutions du globe et les révolutions du genre humain, comme si elles appartenaient les unes et les autres à un même plan qui se déploie d’âge en âge. En même temps il me parut que c’était là un champ ouvert où personne n’avait encore posé le pied; à mesure que j’avançai, je fus étonné de la foule de rapports qui naissaient d’eux-mêmes entre des sciences que l’on a toujours séparées et qui pourtant portent le même nom : histoire naturelle, histoire civile. Je crus entrevoir que l’une pouvait éclairer l’autre dans la plupart des cas.

Une fois dans cette voie, ce qui m’intéressait dans les colosses de