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nom comme autour d’un drapeau de libéralisme, au moment même où d’un autre côté, dans le camp royaliste, M. Berryer arrivait, lui aussi, pour la première fois à la chambre des députés, portant à une cause vaincue ou près d’être vaincue le secours de cette éloquence que M. Royer-Collard appelait « une puissance. » M. Berryer et M. Guizot arrivaient ensemble pour assister comme acteurs à un dénoûment que ni l’un ni l’autre ne désirait.

Si la restauration, au lieu de se perdre dans une résistance vaine aux plus vivaces aspirations du pays, eût été tout simplement un régime prévoyant et sensé, elle n’eût point trouvé un péril dans l’éclat d’un enseignement populaire, dans cette expansion de toutes les forces morales qui se déployaient autour d’elle. Si Charles X, au lieu d’être un de ces rois qui semblent faits pour représenter les dynasties perdues, eût été un souverain à demi clairvoyant, il aurait compris que, dans cette opposition dont le flot montait sans cesse autour de lui et menaçait de le submerger, tout n’était point ennemi, qu’il n’y avait qu’à le vouloir pour rattacher à sa cause les royalistes constitutionnels comme M. Royer-Collard et ses amis; mais Charles X ne voyait rien, ne comprenait rien : il écoutait parfois M. Royer-Collard avec surprise, sans malveillance, en le prenant simplement pour un homme entiché d’idées chimériques. Au point où en étaient les choses, les royalistes constitutionnels eux-mêmes n’auraient pas sauvé peut-être la restauration, ils auraient été du moins une force pour elle, ils lui auraient ôté le caractère d’un pouvoir étourdi et provocateur. Rejetés dans l’opposition, ils étaient la vivante manifestation d’une incompatibilité croissante entre le gouvernement et le pays. Par leur présence dans le camp ennemi, ils rendaient d’autant plus sensible cette situation extrême où d’heure en heure une transaction devenait plus difficile, où il était peut-être déjà trop tard.

Ce qui est certain, c’est que tout était fini le jour où, par la nomination de M. de Polignac, « le drapeau de la contre-révolution était arboré sur les Tuileries. » Ce jour-là, le drame se resserrait. Pendant que l’opposition, groupant toutes les forces libérales, toutes les nuances d’opinion, en était déjà à se demander comment on défendrait les institutions menacées, le roi en était de son côté à rouler tous les projets dans son esprit léger. Un jour, peu avant les ordonnances de juillet, l’ambassadeur de Russie, M. Pozzo di Borgo, qui était allé voir Charles X à Saint-Cloud, le trouva ayant sur sa table la charte ouverte à l’article 14, et interrogeant avec une apparence de candeur inquiète ce mystérieux article, ce terrible sphinx, pour en obtenir la réponse qu’il désirait. La révolution de 1830 était là tout entière. M. Guizot la voyait venir, et il en était