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dans le mouvement de rénovation des études historiques en France, partageant ce beau feu qui courait partout, donnant et recevant tour à tour l’impulsion; il amasse par une investigation patiente et réfléchie les matériaux qui serviront à son cours de 1828 le jour où le ministère Martignac lui rendra la parole, à ces leçons sur l’histoire de la civilisation en Europe et sur l’histoire de la civilisation en France, œuvre de savant, de philosophe et de politique, dont l’homme d’état dans sa retraite a le droit de dire que ce n’est pas seulement une époque dans sa vie, que c’est une époque dans l’histoire des idées françaises de notre temps.

M. Guizot a eu tous ces bonheurs d’être contraint ou conduit par les premiers hasards de sa vie publique à devenir un orateur puissant et populaire, un des chefs de la science historique nouvelle, un des héros de cette Sorbonne de 1828 où se rencontraient à la fois trois hommes, M. Cousin et M. Villemain à côté de M. Guizot, répandant la lumière sur la philosophie, sur la littérature et sur l’histoire, s’inspirant de tout ce qui faisait vibrer l’âme de leurs contemporains, ralliant la jeunesse et même plus que la jeunesse autour d’eux, montrant par ce qu’ils déployaient d’éloquence, comme par les sympathies qu’ils excitaient, que, si la France pouvait être réservée encore à des épreuves politiques, elle était du moins assez maîtresse d’elle-même pour ne plus reculer de longtemps. C’était en quelque sorte l’explosion d’une France nouvelle, intelligente, libérale, amoureuse de nouveauté et de mouvement en dehors des cadres officiels, impuissans à la retenir, prêts à éclater eux-mêmes sous cette affluence de jeunesse et de vie.

L’enseignement de M. Guizot, tel qu’il apparaît encore aujourd’hui, était aussi élevé que nouveau. Il procédait d’une pensée supérieure d’équité et de vérité qui avait été, pour ainsi dire, un instinct chez le professeur avant de se préciser et de se fortifier par l’étude; il s’inspirait de cette idée, qu’on avait beaucoup trop dédaigné le passé faute de le connaître ou de le juger, que les révolutions elles-mêmes, loin d’être une destruction systématique et orgueilleuse, n’étaient que l’accomplissement d’une destinée poursuivie à travers les siècles, qu’il y avait à tenir compte de tout ce qui avait concouru à la civilisation, et, l’esprit tout plein de cette pensée, M. Guizot déroulait, comme il le dit, « dans leur développement parallèle et leur action réciproque, les élémens divers de notre société française, le monde romain, les barbares, l’église chrétienne, le régime féodal, la papauté, la royauté, les communes, le tiers-état, la renaissance, la réforme...»

C’était un éclectisme savant naturalisé dans l’histoire des faits humains à côté de cet autre éclectisme appliqué par M. Cousin à