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chelieu, de M. Dessoles, de M. Decazes, qui va de l’ordonnance du 5 septembre 1816 à 1820, et qu’on pourrait appeler la période de la fondation du régime constitutionnel en France. Ces années sont réellement le règne de la politique modérée. C’est alors que, par l’accord du gouvernement et des chambres, s’accomplissait tout ce qui a été fait de sérieusement libéral sous la restauration. C’est alors qu’on votait la loi électorale de 1817, qui créait évidemment la représentation la plus directe et la plus sincère, et dont les discours de M. Royer-Collard sont restés le lumineux commentaire. De son côté, le maréchal Gouvion Saint-Cyr, âme indépendante et fière, faisait triompher cette loi du recrutement de 1818, qui était une œuvre politique au moins autant que militaire, qui recomposait une armée à l’image de la nation, et dont le principe sérieusement démocratique a survécu à travers tous les changemens. C’est enfin des chambres de ce temps que sortaient ces lois sur la presse de 1819 qu’on invoquait récemment encore, qu’on trouverait aujourd’hui très libérales, tant nous avons fait de chemin, et qui offraient à M. Guizot l’occasion de prononcer son premier discours parlementaire comme orateur du gouvernement. Dans les chambres et dans le conseil d’état se trouvaient réunis des hommes appartenant aux nuances d’opinions les plus diverses, discutant avec une vive indépendance, M. Royer-Collard auprès de M. Molé, M. de Serre et M. Camille Jordan à côté de M. Siméon et de M. Portails, M. Guizot à côté de royalistes comme M. de Ballainvilliers ou de M. Bérenger le jurisconsulte, qui soutenait dès lors le suffrage universel. Malheureusement cette situation était fragile, elle reposait sur une de ces combinaisons d’équilibre qui ne sont qu’un artifice plus ingénieux qu’efficace. Si le ministère semblait incliner vers le parti libéral comme dans la loi électorale de 1817, il soulevait contre lui les royalistes de la droite; s’il faisait quelques concessions aux royalistes, il mettait en défiance les libéraux. Il cheminait entre deux oppositions également ardentes.

Que fallait-il pour brusquer la crise inévitable et pour changer la direction politique de la restauration? Quelques accidens tout au plus. Le premier accident fut l’élection d’un régicide, de l’abbé Grégoire, représentée aussitôt comme une injure pour le roi, comme une évocation sinistre de la convention. Le second accident, bien plus terrible, bien plus décisif, ce fut l’assassinat du duc de Berry, qui faisait tomber soudainement en défaillance la politique modérée du ministère Decazes, comme si elle eût été coupable d’un meurtre, et semblait justifier les royalistes en préparant leur triomphe. En un moment, tout se trouvait changé; un crime livrait le pouvoir et la France aux mains de ceux qui depuis cinq ans harce-