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que la restauration pouvait porter la peine des malheurs sous lesquels pliait la France. Elle n’avait rien fait pour attirer ces malheurs, ce n’était pas pour elle que l’Europe avait pris les armes. Elle était plutôt une garantie contre de plus violentes représailles, et, même en profitant de la victoire des alliés, les chefs de la restauration, quelques-uns du moins, gardaient assez l’instinct français pour ressentir l’amertume de la défaite. On se souvient des patriotiques émotions du duc de Richelieu pendant les négociations de ces traités de 1815, qu’il subissait, l’âme navrée, comme une nécessité cruelle. Ce n’était pas un mauvais Français, celui qui, devant sa couronne à l’invasion, écrivait le jour où cessait l’occupation étrangère : « Duc de Richelieu, j’ai assez vécu, puisque, grâce à vous, j’ai vu le drapeau français flotter sur toutes les villes françaises. » On peut dire aujourd’hui que la coalition européenne n’avait pas même fait pour la restauration ce qu’elle aurait dû faire. Si elle n’eût été uniquement préoccupée de pousser à bout sa victoire, si elle avait eu, je ne dis pas de l’équité, mais de la clairvoyance et une certaine grandeur habile, elle aurait compris que, puisqu’elle ne pouvait pas détruire la France et s’en partager les dépouilles, elle était la première intéressée à se montrer libérale envers ce gouvernement nouveau qu’elle suscitait, à lui faciliter les moyens de vivre avec honneur au lieu de le laisser accablé sous l’excès des représailles, exposé à tous les ressentimens du patriotisme et flétri de ce nom de gouvernement de l’étranger. La vérité est que la restauration portait la peine de tout ce qu’elle n’avait pas fait, et que par elle-même, malgré les douloureuses coïncidences de son origine, elle n’avait rien d’incompatible avec les intérêts nationaux de la France dans une situation qui n’était pas son œuvre, qui était la rançon des ambitions démesurées de l’empire.

D’un autre côté, la restauration, c’était sans doute la résurrection d’une royauté qu’on croyait à jamais disparue, ce n’était pas nécessairement l’ancien régime. Elle se distinguait tout de suite de l’ancien régime par son premier acte, par cette charte qui ressemblait à un grand traité de paix entre tous les intérêts, qui était une garantie pour la société moderne, et à laquelle Louis XVIII s’attachait par bon sens autant que par amour-propre d’auteur. Roi par son droit, il le croyait ainsi, imbu de beaucoup d’idées surannées, plein de superstitions et de puérilités monarchiques, Louis XVIII n’était pas moins un esprit libre et ouvert, admettant aisément la nécessité des concessions, répugnant par instinct ou par calcul aux réactions violentes, n’ayant de parti-pris que sur sa légitimité, et coulant sur tout le reste, avec les choses et avec les hommes, ayant au fond le goût du bien, et gardant assez de fermeté d’âme