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culièrement comprise dans ces dernières années. Des chercheurs persevérans, explorant sans se rebuter les volumineux cartons des archives départementales, ont mis en pleine lumière une foule de détails jusqu’à présent dédaignés et qui n’en forment pas moins la base solide de l’histoire. C’est dans leurs publications plus consciencieuses que brillantes que les annalistes futurs viendront puiser les matériaux du monument définitif qu’ils élèveront à la révolution française.

L’étude que M. Legrand vient de consacrer à Sénac de Meilhan prendra un rang honorable parmi ces utiles travaux. On y saisit sur le fait la vie administrative d’une province sous le règne de Louis XVI, on y touche du doigt chacun des rouages de la machine gouvernementale sous l’ancien régime, mécanisme bizarre où une concentration de pouvoir excessive n’excluait pas une complication qui paralysait presque le mouvement. Le Hainaut et le Cambrésis sont d’autant plus intéressans à étudier de près que certains historiens avaient mis en circulation au sujet de cette intendance des opinions qu’un examen plus attentif des faits ne justifie point. Elle avait, d’après eux, conservé malgré la conquête française un régime empreint d’un libéralisme relatif. Leur illusion se comprend : le simulacre des institutions antérieures à l’annexion avait été conservé en effet, seulement elles ne fonctionnaient plus. Valenciennes avait comme autrefois un prévôt, douze échevins, un conseil de surveillance de vingt-cinq membres, un grand-conseil de deux cents qu’on aurait dû réunir tous les trois mois. Malheureusement tous ces magistrats, nommés par l’intendant, étaient à sa discrétion, et quant au grand-conseil, dont il y avait lieu de redouter les velléités d’indépendance, il ne fut jamais convoqué. Aussi la ville, administrée d’une manière pitoyable, finit-elle par faire banqueroute. Il faut dire à la décharge de la municipalité que la charge écrasante des impôts était pour beaucoup dans cette situation précaire. Valenciennes avait à verser tous les ans au trésor royal une somme si forte, et avait si bien élevé ses octrois pour arriver à la réunir, que la ville était devenue presque inhabitable. Au moment de la conquête, c’était une cité de 30,000 âmes, industrieuse et prospère; quarante ans plus tard, l’industrie avait disparu, et la population était réduite à 19,000 habitans, dont un tiers vivait d’aumônes. C’était bien pis dans les campagnes environnantes, la famine y était en permanence.

Survinrent les tentatives de décentralisation de Necker et de Turgot. On comprend que des gens encore mal remis de la secousse de 89 éprouvent quelque douceur à se figurer que la convocation des assemblées provinciales aurait pu devenir le point de départ d’une ère de transition douce entre l’ancien régime, qui s’écroulait, et le nouveau, qui se cherchait encore. Alors la face du monde était changée. La révolution, qui dans ce système serait née de circonstances toutes fortuites, se réduisait à une série de progrès réguliers et paisibles. Il a suffi à M. Legrand de compulser d’une manière exacte et complète les documens authentiques relatifs à l’assemblée provinciale du Cambrésis pour montrer que ces demi-mesures ne pouvaient pas aboutir. Ces tentatives de conciliation ne devaient servir qu’à faire éclater le dissentiment qui existait entre le gouvernement et la nation. Ce que celle-ci commençait à réclamer, c’était